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Les nouveaux moudjahidine

par Moncef Wafi

Si les Algériens se sont émancipés, ont démontré une maturité citoyenne et civique insoupçonnable en investissant la rue, dernier bastion de la liberté d'expression, force est de reconnaître que jusque-là rien n'a été acquis. Cependant, certains profils sur Facebook s'approprient déjà la victoire et commencent à se partager gloire et notoriété. Ne manque que la fiche communale de nouveau moudjahid, la pension et la licence de taxi qui vont avec. Cette imposture intellectuelle qui revendique la paternité de la lutte contre le régime est à craindre dans l'optique de la chute du pouvoir et de la course aux récompenses. Si la rue a évité, pour le moment, tout parrainage partisan ou idéologique, ce n'est pas pour être tenté par une guerre des wilayas. Les deux vendredis de la contestation populaire, loin des récupérations d'usage, ont certes réconcilié le pays avec ses citoyens, et le contraire n'est pas forcément vrai, toutefois, la situation en haut de la pyramide décisionnelle semble toujours figée dans ses certitudes moulées à un cinquième mandat contre l'avis général. L'appel d'aujourd'hui, qui coïncide avec le dernier délai pour le dépôt des dossiers de candidature à l'élection présidentielle au niveau du Conseil constitutionnel, répond à une logique de la dynamique et de l'occupation du terrain pour inscrire le mouvement dans la durée et faire mentir la stratégie du pouvoir qui joue la montre et mise sur l'essoufflement.

Aujourd'hui, et même si ce n'est pas un jour fatidique, beaucoup d'inconnues seront connues et l'équation pourra être résolue pour peu que le facteur X ne rentre en jeu. Dans l'hypothèse où Bouteflika dépose son dossier, comme l'a annoncé en amont son directeur de campagne, il est clair que la contestation va encore battre le pavé et nous assisterons, de plus en plus, à des risques réels de dérapages sécuritaires orchestrés par les parties qui ont intérêt à discréditer le caractère pacifique des manifestations, et les incidents de ce vendredi soir en sont un parfait échantillon. Devant cette perspective de la présence de Bouteflika à sa propre succession, les Algériens n'auront d'autres alternatives que d'aller vers les urnes et c'est là le véritable enjeu. Arrivé à ce stade, le régime n'a plus d'autres cartes à abattre que celui de l'atout présidentiel, impossible de faire marche arrière ou de tirer un plan B de sa manche. Et comme les élections à l'algérienne ont toujours été un modèle de transparence et de propreté que même monsieur propre en personne nous envie, alors nous pouvons reprendre cette fameuse citation passée à la postérité de Bouchareb : «vous pouvez toujours rêver».