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Qui n'avance pas recule !

par Kamal Guerroua

«Nos sociétés ont besoin, écrit feu M'hand Kasmi, d'un esprit critique, aigu, afin de raboter les rugosités, pour aller vers des consensus et des convergences qui permettent d'avancer». Si le culte des certitudes est le début de l'ignorance et du dogmatisme, le refus du débat n'est tout simplement que synonyme de suspicion et de régression.

Or, quand on constate aujourd'hui que nos intellectuels désertent le dialogue et l'échange d'idées en se retranchant derrière le jugement sans fondement de l'autre et une sorte de diffamation gratuite, on ne peut qu'admettre la fragilité de notre situation.

Emportée par des flots d'émotions et de subjectivités, la voix de la raison s'est comme écroulée sous des tonnes de partis pris. Et quiconque sait que lorsque l'émotivité prend le dessus dans l'arène culturelle, la guerre féroce des ego devient inéluctable. C'est cette dynamique-là qui laisse la société pourrir dans l'animosité, le déni, l'aigreur. En un mot, le désordre des choses qu'on vit actuellement vient en premier lieu du dysfonctionnement de nos cerveaux, de notre incapacité à réfléchir par nous-mêmes et à vivre en harmonie avec ce qui nous entoure, de notre hésitation à accepter la différence de l'autre et à nous mettre à table pour discuter sereinement de ce qui nous préoccupe, nous tourmente et nous blesse.

Au moment où l'idée est devenue parole sacrilège pour nos gouvernants, nos intellectuels censés pourtant traduire, dans l'ordre normal des choses, les ressentis les plus insaisissables de leurs concitoyens, s'emballent pour des futilités. Ainsi, le pays nous renvoie-t-il en permanence les échos cacophoniques d'une jeunesse incomprise qui veut parler, respirer, se défouler..., se révolter. Regardons bien ces scènes désolantes des centaines d'étudiants faisant la queue dans l'anarchie devant le Centre culturel français à la capitale pour quitter cette Algérie désormais en perdition. Osons en débattre en toute franchise et tirons-en les leçons qui s'imposent !

C'est un signe grave de l'affaiblissement de la nation et de la précarité des masses. Pis, cela dénote que le voile pudique par lequel on masque nos faiblesses est enfin tombé ! Il y a, à vrai dire, une inquiétude populaire palpable qu'une pédanterie officielle gâteuse et fourbe tente d'éviter à coups de formules démagogiques. Mais pourquoi s'enferre-t-on dans ce piège? Pourquoi s'abandonne-t-on à cette tricherie collective inexplicable, une sorte de folle griserie à nier sous des dehors orgueilleux l'évidence et le fait accompli ? Non seulement le navire chancelle, il dérive, il se perd.

La crainte que nous portons tous en nous à des degrés divers se transforme maintenant en handicap. Peut-on réussir à décrocher, sortir de cet état de qui-vive permanent et éteindre le feu de nos angoisses ? Sans doute, une forte prise de conscience de nos vulnérabilités collectives est indispensable pour pouvoir aller de l'avant. A ce titre, la générosité et le volontarisme ne relèvent pas de la naïveté ou bien de la ringardise mais bien du civisme, du patriotisme. Qu'on ne se laisse pas alors décourager ni gagner par l'impuissance. Actons au quotidien pour le changement. C'est la seule piqûre salvatrice contre la fatalité de l'échec.