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Le pouvoir, puissance 102

par Mahdi Boukhalfa

L'article 102 divise une partie infime des Algériens. Il y a les pour et les contre, les partisans et les opposants. Les uns veulent l'appliquer, les autres le rejettent. En un mot, cet article signifie, s'il est appliqué, ?'vacance'' de pouvoir, pour ses partisans, qui se basent sur un état de santé supposé ne pas permettre au président d'exercer ses fonctions de Chef de l'Etat. Les adversaires de l'article en question répliquent que la santé du président lui permet de vaquer à ses occupations. Et pour un peu, ils répondront à ceux qui ont déterré la hache de guerre, ou ce joker constitutionnel, qu'ils sont des oiseaux de mauvais augure, des charognards, des vautours. Pourquoi ? Tout simplement du fait que les adeptes et plus fervents soutiens de ?'la vacance'' de pouvoir pour incapacité du président à exercer ses fonctions voudraient voir leurs adversaires abandonner la partie pour décréter en urgence qu'il faut aller à des élections pour élire un nouveau président. Cette manière de voir les choses, sinon la succession du président Bouteflika, si elle est choquante pour les âmes sensibles, les ?'gentils'' de la politique, elle ne l'est forcément pas pour l'opposition, qui veut en découdre sur le front constitutionnel avec les partis et les parties du pouvoir. Même si le cas de la Tunisie est évité, mais celui de Zeroual déterré, il n'en demeure pas moins que les clivages entre une partie de l'opposition et les partis proches du pouvoir sont devenus tellement profonds que la situation risque vraiment de dégénérer. Car d'un côté, il y a un regain de montée de la contestation et de la revendication auprès du Conseil constitutionnel pour l'application du fameux article 102, et de l'autre, l'Etat, à travers ses institutions, comme l'APN, le Conseil de la Nation, les forces de sécurité, qui commence à montrer son irritation, notamment avec l'arrestation de partisans de l'application ?'tout de suite'' de cette disposition de la Constitution pour constater la vacance de pouvoir. Un chef de parti d'opposition est allé jusqu'à demander qu'''on nous montre le président''. Une situation absolument ubuesque, avec d'un côté les mêmes qui s'étripent pour le pouvoir, et de l'autre la majorité silencieuse des Algériens, qui assistent en spectateurs à ces joutes politiques inutiles, qui n'auraient pas dû avoir lieu. Pourquoi ? Tout simplement parce que, hélas, le pays n'a pas encore atteint cette maturité politique, qui fait que la démocratie et l'alternance au pouvoir ne soient pas un objectif à atteindre, comme une rencontre de football à remporter, mais une chose banale de la vie de tous les jours d'une nation sans aucun complexe existentiel, politique ou idéologique. Sans réminiscences du passé, d'une révolution devenue un ?'sauf-conduit'' pour des fuites en avant, et qui joue comme un défoliant idéologique et politique contre tout ce qui a trait à une volonté, même sereine, de faire avancer le pays vers les rives de la bonne gouvernance, de la démocratie et de l'espoir pour un avenir moins obscur, moins stressant et incertain. Car les tenants d'un changement de pouvoir, comme ceux qui s'y accrochent, oublient l'essentiel : les Algériens, ceux qui votent, ceux pour qui ce pays fonctionne vraiment, ceux pour qui sont morts les ?'Chouhadas'', ne sont toujours pas consultés sur ce qu'ils veulent, sur leurs espoirs, la vie qu'ils veulent. Ils ont toujours été au milieu du gué de l'histoire de cette Algérie qui reste à construire, et ne se sentent plus concernés, à force d'oubli, de marginalisation et de mépris, par ce que réclament les adeptes de l'article 102, ni les raisons de ceux qui bloquent tout changement dans ce pays. Pour la majorité silencieuse des Algériens, le combat de tous les jours se situe à un niveau que ne comprennent pas ceux qui luttent pour rester au pouvoir. Un jour, peut-être, quelqu'un comprendra les angoisses de familles qui n'ont pas de quoi souper un jour sur deux.