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Heureux les martyrs qui n'ont rien vu

par El Yazid Dib

Le 18 février passe pour être la Journée du Chahid. Exception faite pour cet an-là, où l'effluve fiévreux des prochaines joutes avait la tendance d'en faire un plateau d'exhibitionnisme pour ceux qui croient en l'efficacité de vendre la peau de l'ours avant même de l'avoir attrapé. Les chasseurs se multiplient, le gibier comme un siège parlementaire se fait rare. Partir tôt, raser large, scanner l'alentour, sourire à chaque carrefour, serrer les mains, embrasser les joues, paraître ange et diaboliser l'autre deviennent un acte citadin que déguise un masque de prétention.

Heureusement que le Chahid ne peut revenir sous une autre forme. Heureusement pour lui qu'il n'est pas candidat à nulle compétition, car c'est la sienne, pratiquée en son temps et à son corps défendant qui allait permettre aux goinfres, opportunistes, nullards, audacieux de faire la leur. Heureusement pour lui que la banque, l'investissement factice, la spéculation foncière, la promotion immobilière n'étaient pas des mots d'ordre du djihad !

L'odeur électoraliste et les entremises d'intérêts se sont jointes sans rougir dans l'accaparement d'une mémoire qui refuse d'abdiquer par-devant la perversion protocolaire ou de faire-valoir d'une halte de ralliement. Le FLN, le Chahid, tout comme l'Algérie, le Président ou la République ne doivent pas servir l'ambition des uns ou l'entrisme des autres. L'ensemble reste une propriété inaliénable de tout un peuple à admettre sous toutes ses diversités linguistiques, sociales ou politiques. Ils ne sont pas des biens vacants. Ni des poches vides ou des terrains marginaux. Ils sont bel et bien un dénominateur communément collectif que personne ne peut nier à personne le droit d'appartenance et la sensation de fierté.

Les insatiables, les charognards politiques et les contrariés de la chance guettent de telles opportunités où la proximité du parrainage devient une approche managériale. Flirter avec l'histoire ne peut être une amourette circonstancielle. L'on se trompe si l'on croit trouver son chemin dans le fait de courtiser un événement historique pour le mettre à son exclusif service. La mémoire révolutionnaire algérienne ne fait pas partie d'un dépliant de pré-campagne ou d'un bureau de sondage de tendance. Le Chahid, sa journée, son épopée et sa charge émotionnelle ne doivent pas s'inscrire dans un festin et pire être mêlés à une cuisine mercantile. Ils sont une ligne continue, un sens interdit dont l'acte prémédité les enfreignant n'est passible que de haute trahison mémorielle.

La politique, quand bien même insaisissable jusqu'à devenir « pourritique » tel que bien dit par un confrère, ne perd pas par principe son éthique et la noblesse de sa pratique. Il demeure cependant fortement aisé à quiconque épris d'audace ou de visée d'aller glaner ses voix ailleurs, dans une autre éphéméride et planter ses burnous sur le dos des pauvres, des dévêtus et non sur ceux qui portent déjà du cachemire.

Heureux les martyrs qui n'ont rien vu.