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L'insensibilité administrative

par El Yazid Dib

Il est maintenant facile d'avoir ses papiers, ses actes et pas toutes ses identités. Celles-ci ne suffisent pas à une inscription d'un état civil ni ne se résument dans des mentions marginales. Si la biométrie est devenue un calcul numérique de ses gènes et attributs morphologiques, elle devrait dans son épanouissement administratif prendre soin du côté biologique. Ne pas prendre l'homme uniquement pour une matrice génétique ou un identifiant digital. Cet homme est une vie qui respire et aspire, qui sent le mal quand il le subit, qui jubile quand il est momentanément heureux.

L'identité restera une signification d'un simple genre et d'une évidente chronologie tant que la reconnaissance de l'être en son état d'harmonie, de sensibilité et d'humanité sera mise dans un registre ou dans une base de données. Il faudrait s'adresser à l'homme et non pas à sa carte individuelle. L'humanisation, comme dirait Bedoui, devait se reconquérir dans tous ses états dans l'état civil et se reconnaître dans toute son amplitude citoyenne.

Par parabole l'administration est un portail, un horaire, une humeur et un tas de papeteries. Si l'on est arrivé à ouvrir le portail, rendre flexible l'horaire et disparaître les papiers, l'humeur résiste et persiste pour demeurer.

Elle est partout et nulle part. Le simple ticket d'accès à bord d'un bus ou un passe-navigo est soumis à toute une théorie d'applicabilité et de validité dans le temps et dans l'espace. Elle n'est donc pas un sentiment. Son seul sentiment à elle n'est qu'une procédure abstraite et impersonnelle. Elle s'exerce dans un temps qu'elle n'apprécie que pour sa consommation inutile. Aspirant à devenir une discipline caractérielle, cette administration, du mois un certain esprit administratif qui rôde comme un fantôme dans les couloirs, les guichets et les offices échoue là où dans son passage il zappe la nature humaine et la dimension de l'homme. Au motif d'une organisation qui tend avec l'évolution électronique à perdre tout sens hiérarchique, l'on persévère à justifier la hiérarchie telle une échelle de valeur.

En fait le placement de l'un à la hiérarchie de l'autre ne provient pas d'une norme cosmique. Il y a toujours derrière ce positionnement une décision légale. Autrement dit, ce qui arrive à être argumenté régulièrement par une disposition légale ne sera pas forcement juste. Ceci ne lui donnera qu'une couverture acceptable uniquement en vertu de textes et non pas une raison tangible de qualité ou de brio. C'est d'une logique implacable qu'il n'appartient pas à un acte d'autorité de créer un raisonnement. Ordonner un classement entre un maître et ses élèves dans une classe scolaire c'est tout indiqué pour que le mérite et le savoir du maître en soient les motifs génésiaques de la situation hiérarchique. Faire d'un imam un guide spirituel et directeur de prière pour des centaines de fidèles puise sa légitimité non pas d'un décret mais d'une illumination et d'une érudition sensée dépasser celles de tout autre. Idem pour un entraîneur d'équipe, pour chef cuistot et ainsi de suite. La conduite ou la direction des affaires se gagne et s'intronise par le discernement, la décence et la bonne sentence d'à-propos.

Il est constaté par ailleurs que le plus souvent, comme en termes d'élections notamment, l'élu n'est rationnellement pas le meilleur. C'est tout ce que l'on trouve dans la sarcelle, autant que celle-ci ne présente que ceux que présente le parti. La mystification donc ne doit pas être prise pour une approche quand elle n'est que propos charmants. L'administration doit trouver ce bien-être perdu et ce bonheur avachi le long des promesses. Donner de l'ambition au citoyen, le faire rêver fait aussi partie du management stratégique avec seule frontière que gérer la quotidienneté des gens ne s'assimile pas à un règne ou à un domaine privé. C'est à une administration publique et républicaine que l'Etat œuvre envers d'innombrables niches de résistance et de refus de changement.

Si l'on arrive à débroussailler la relation humaine qui existe entre un dépositaire de service public et un usager demandeur, l'on aura ainsi accompli un pas de géant dans l'attendrissement administratif. C'est ce qu'en somme vers quoi tend «el enssana» (l'humanisation) dans le discours du ministre de l'Intérieur. Un sourire vaut un bonjour.