Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

De la mémoire courte

par Ahmed Farrah

Tout au long de son histoire coloniale, le pays s'était confronté à des actions injustes, de soumission et d'étouffement de son peuple et d'exclusion de son élite, générant des réactions violentes somme toute légitimes. De là, la mémoire collective de tout un peuple est restée marquée par la lutte armée qui avait été érigée en principe libérateur et le combat en valeur positive constituant une référence intimement liée à l'identité nationale. Les violences cycliques qui touchent le pays depuis son indépendance s'inscrivent dans cette mentalité rebelle, frondeuse et impatiente, ne pouvant plus supporter les frustrations et l'arbitraire réels ou ressentis. Au-delà de la légitimité, l'autorité de l'État était imposée à tous et la légalité largement respectée par la masse du peuple. Ce n'est qu'au début des années 80 que les revendications identitaires et socio-professionnelles sont apparues dans la rue et réprimées dans la violence. L'affaiblissement de l'État n'avait pas tardé à s'exposer au grand jour après que certains apprentis sorciers aient voulu ligoter toute la société dans l'application de l'article 120 des statuts du parti du FLN adopté au cours de son congrès extraordinaire de juin 1980.

Cet article visait essentiellement l'encadrement des organisations de masse comme l'UGTA, l'UNJA et l'UNFA et qui, au cours des années 70, rejetaient la tutelle du FLN. La chape de plomb s'est disloquée avec les évènements d'octobre qui furent un règlement de compte entre les protagonistes de la même chapelle. Depuis, l'Algérie peine à s'orienter dans le sens d'une démocratie apaisée permettant une réelle alternance et la légitimation définitive des institutions. Aujourd'hui, un pan entier d'Algériens se désintéresse de la politique et ne reconnaît ni les représentants locaux et encore moins la représentation nationale, qui sont perçus comme étant coupés des attentes de la population et ne défendant que leurs petits intérêts.

Aussi, l'opposition semble être trop frêle pour renverser le statu quo, occuper durablement le terrain, incapable de charmer les citoyens avec ses propositions et leur donner l'espoir d'une réelle alternative. Il n'en demeure pas moins que la société civile, qui devrait gérer bénévolement la vie sociale et culturelle du pays avec ses milliers d'associations, qui sont en principe autonomes et autosuffisantes, elle aussi serait engluée dans ses calculs de petit épicier, cherchant à capter le maximum de subventions et mettant en doute la crédibilité de son indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics. Sans cela, elle ne serait pas en mesure de continuer d'exister. Autrefois, au niveau local, existaient des notabilités représentant une autorité particulière au sein de la communauté et dotées d'une forme de légitimité sociale, comme les chefs de tribus et les personnalités irréprochables, intègres, justes, écoutées, forçant le respect et jouant un rôle d'interlocuteur privilégié dans la société. Mais les évènements de Ghardaïa ont montré que même ces structures, quand elles existent, elles ne sont plus écoutées comme cela était. Lors des récentes émeutes qui ont eu lieu à Béjaia et dans d'autres régions du pays, la police était souvent seule face aux émeutiers. Elle a su gérer la situation avec mesure et un grand professionnalisme, sans dérapage notable mais aussi avec un lourd sacrifice de ses éléments. Cependant, peut-on encore continuer à gérer ce genre de situations par la seule force publique ? Ne faudrait-il pas que la représentation politique, l'opposition, la société civile et les notabilités soient légitimes et sachant prévenir et contrecarrer toute forme de violence pouvant mettre le pays en danger ; comme partout où les contre-pouvoirs sont forts, les États restent puissants pour absorber les ondes de choc ?! Si le Premier ministre est intervenu pour rendre hommage aux internautes qui ont su faire face, sur les réseaux sociaux, en dénonçant la violence et en faisant de la pédagogie pour expliquer les véritables enjeux de ces soulèvements, il devrait donc savoir que les vraies forces du pays ne se trouvent pas nécessairement parmi leur clientèle traditionnelle mais dans la majorité de ces citoyens, jeunes et moins jeunes, désintéressés, qui ont sincèrement l'Algérie dans le cœur et n'attendant rien en retour.

Ils sont déjà riches mais pas dans le sens mercantile que certains prédateurs connaissent. En défendant la légalité, ces internautes ne sont pas dans une logique de légitimation d'une démarche pratiquée et montrant à chaque fois ses limites et causant les mêmes difficultés dans la maison. Il faudrait consentir à y remettre de l'ordre et prendre les devants. C'est la seule manière de ne pas courir après ses enfants, mais en tâchant aussi à ne pas être amnésique car dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.