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De quoi je me mêle

par Ahmed Farrah

L'homme est, paraît-il, le loup pour l'homme. Il serait l'ennemi de ses semblables. Ne voyant en ses congénères que des concurrents lui réduisant ses attributs ou des conquérants le confinant aux limites de sa niche vitale. Pour s'en défaire, soit il sort ses crocs de canidé sauvage ou ses griffes de rapace affamé, soit il se recroqueville dans sa sournoiserie cachée derrière son hypocrisie maléfique. Ceci est bien vérifié dans les corporations où la compétition est très rude et plus particulièrement dans l'univers de la politique où tous les coups sont employés. Comme un déluge dévastateur, les ambitieux noient tous ceux qui leur viennent en travers de leur projet. Pour ne pas être éliminés, ils éliminent, d'un à l'autre, leurs adversaires. Sans aucun état d'âme. Ils montent jusqu'à ce qu'ils atteignent le sommet de la pyramide écologique, sur les corps cadavérisés et sur d'autres, prosternés pour ne plus s'échiner encore plus. Déjà au IVe siècle, l'empereur Constantin Ier pour renforcer Rome et son pouvoir, libéra le culte, non sans arrière-pensée, unifia l'Eglise en convoquant le concile de Nicée puis affirma son autorité politico-religieuse grâce à la croix qu'il aurait vue dans le ciel de Rome, et qui lui conféra son statut d'empereur divin. Depuis, les choses n'ont pas beaucoup changé, sinon elles se sont banalisées et aggravées. Les boucs émissaires sont faciles à trouver parmi les plus faibles. Des pays entiers sont jetés à l'âge de pierre et vidés de leurs peuples, poussés à l'exode et noyés dans la mer.

En France, les primaires pour l'élection présidentielle ont commencé sur le dos des quelques femmes musulmanes fuyant la canicule pour le bord de mer, en burkini très visible et «troublant l'ordre public». En Algérie, la blogosphère relie le déballage quotidien, partagé sur les réseaux sociaux, mettant en relief le positionnement des parties en concurrence pour tenir la barre de navigation. Chaque jour qui passe, du linge sale est étendu sur le pont. La lessive ne lave pas plus blanc que blanc. Le commun des mortels est mené en bateau dans des eaux troubles non encore épurées. Il entend tout le monde, mais il n'écoute personne. Il n'est plus dupe. Il connaît le dicton qui dit : « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ». Il sait que beaucoup de vérités criées hier, dans un ciel obscur, ne sont plus, aujourd'hui, que des mensonges cousus de fil blanc parfaitement visible. Aussi a-t-il su, il y a si peu, que tant de choses ne se sont pas passées comme il avait été dit. Alors, il marque son territoire de scepticisme. Il sait bien qu'il ne pèse pas grand-chose dans l'apesanteur d'un univers qui l'ignore et qu'il ne contrôle pas. Bien qu'il se désintéresse du jeu de dédain des autres, il se résigne à garder, malgré lui, son rôle de spectateur indifférent, depuis les gradins de l'arène où s'affrontent des gladiateurs et des bestiaires bien engraissés et réellement préparés pour la circonstance. Ainsi, la sélection darwinienne est continuellement vérifiée, seuls ceux qui arrivent à passer toutes les barrières dressées, naturellement ou pas, sont les mieux à même de boire dans le saint graal. Il ne reste à ceux qui avaient été emportés sous l'aisselle des autres, puis lâchés en cours de route, que le dépit et l'ennui qui les rendent ennuyants. Parce que le temps les traverse et continue son cours dans le sillon de l'histoire, mais ce sera sans eux.