Aucun
de nous ne peut saisir, dans leur totalité, les nombreux contrastes de
l'Algérie d'aujourd'hui. D'une part, un peuple jeune, simple, doux, fait pour
être heureux, un pays vaste et magnifique destiné à être une puissance méditerranéenne
et régionale de premier plan, un sous-sol généreux, riche en or noir et en
matières premières. De l'autre, d'écrasantes inégalités creusent le fossé, déjà
large, entre les pauvres et les privilégiés dans la société, un retard
inacceptable sur tous les fronts, une gestion au jour le jour des secteurs et
des deniers publics par un système vermoulu, miné de surcroît par la corruption
et l'incompétence, une bureaucratie étouffante, des casse-têtes politiques et
économiques qui n'ont pas raison d'être, des anomalies et des dilemmes sans
issue, etc. A se demander si l'on n'est pas frappé par une quelconque
malédiction divine ou si l'on ne s'est pas fait injecter par hasard de la
morphine dans nos veines...et nos cerveaux. Nous est-il encore loisible de
rester passifs et insensibles? Est-il logique pour
nous de contempler cette érosion nationale tous azimuts sans en mourir de
regrets et de honte ? Où s'est cachée notre conscience ? Les forces vives de la
nation sont inertes et hésitent à se jeter dans le grand bain des réformes, la
diaspora n'a plus la verve ni le poids d'engagement d'antan, les appareils de
l'Etat se délitent et se fragmentent sous les coups de massue des clans
gloutons et les masses sont confinées dans le rôle de ramasseuses de chimères. Parbleu! Ce ne sera sans doute pas de gaieté de cœur si l'on
poursuit cette litanie des symptômes augurant notre suicide collectif. Mais
notre malaise signifie-t-il autre chose que la démission morale, la froideur
d'esprit et la nudité du patriotisme? Ce qui ulcère
davantage l'âme, ce sont ces gens-là, dans les arcanes du régime ou ailleurs,
qui continuent encore à nous vendre des faux espoirs et nous miroiter
l'impossible alors qu'ils n'ont même pas osé réaliser le possible, clés en main! Il nous faut un diagnostic sans concession de cette
classe politique vérolée et menacée de tarissement pour cause de relève
générationnelle. On a surtout besoin d'aller au bout des choses afin de
comprendre ce qui nous arrive et d'où venaient tous nos problèmes. Évitons le
pire au pays, réconcilions-nous avec nous-mêmes déjà et entre nous,
tendons-nous la main les uns aux autres pour jeter les fondations d'une
nouvelle république citoyenne, vivant en autarcie, respectueuse des libertés.
Une république où le mot «corruption» serait un pur sacrilège, où le peuple
sera maître de ses choix, où les responsables anticipent les crises,
investissent, agissent pour les enfants de la patrie. Bref, une république
égalitaire, entreprenante, fraternelle, solidaire, etc. Cherchons nos points de
convergence dans les idéaux défendus par nos prédécesseurs et les valeurs
communes héritées de l'épopée historique, l'une des plus brillantes du XXe
siècle. Il est encore possible de souffler sur les braises de l'espoir, de
bouger et de caresser le rêve d'une Algérie moderne, démocratique et plurielle.