Heureux le
peuple du football qui trouve des brèches pour entrer dans la liesse des
stades, le temps d'un moment furtif. Heureux aussi, les fans de Riadh Mahrez qui vibrent devant
les écrans de télévision chez eux et dans les cafés, savourant l'inattendu
succès de leur amour de circonstance retrouvé dans le club de football de
Leicester City. Sans ça, le quotidien de la plupart des gens reste plat et
ennuyeux, meublé d'une actualité rébarbative. D'ailleurs chaque soir, la
télévision nous rappelle les réalisations et les inaugurations
d'infrastructures, d'équipements et de logements qui font des heureux parmi
ceux qui restent encore déçus et déprimés en attendant leur tour ; la platitude
des activités politiques ; les interminables saisies de drogue et d'armes de
guerre ; les accidents de la circulation ; les péripéties de l'Éducation
nationale ; les conflits du Sahara et de la Syrie? Nous sommes mis en garde
contre les périls qui viseraient la stabilité du pays et sa paix intérieure,
bien que ce ne soit que dans des apparitions timides, mesurées et sans prise
sur les évènements dans la scène internationale. Mais que peut faire la
télévision plus que de distraire ceux qui cherchent du travail et n'en trouvent
pas ? Les chamailles des politiques, les prêches des zaouïas, et le populisme
des syndicats paraissent aux yeux des jeunes, ridicules, creux et toujours
infantilisants.
De toute
façon, même les bonnes intentions, surtout quand elles sont plombées dans
l'immobilisme, ne peuvent pas dissiper le désœuvrement général, elles
contribueraient plutôt à l'enraciner dans les sentiments. Et pourtant le
bonheur de tous serait possible si on cessait de mettre du pansement sur une
jambe de bois et ne plus opposer l'absurde à l'absurdité. Rien ne se bâtit sans
enthousiasme, sans volonté, sans ouvrir sincèrement des horizons et sans
susciter des élans ou du moins ne pas les empêcher. Comment ne pas être
optimiste lorsqu'un jeune ingénieur dans une nouvelle usine d'aluminium
récemment ouverte à Ain Defla, ému d'avoir trouvé du
travail, déclare au JT de l'ENTV mettre tout son espoir et sa volonté dans
cette entreprise pour lui être fidèle et utile ? Il ne demande pas qu'on lui
donne la lune, mais seulement de lui assurer un travail pour s'accomplir, vivre
son bien-être et fonder une famille. Ces entrepreneurs créateurs d'emploi sont
nombreux et sont dans la mesure de créer des dizaines de milliers d'autres qui
feraient le bonheur de ces familles encore fragiles et privées de ressources,
pour peu que la bureaucratie et les passe-droits ne les découragent pas. Il est
inutile d'aller chercher des investisseurs étrangers qui ne viendront jamais,
tant que les capitaux locaux ne trouvent pas les mécanismes garantissant leur
fructification et la sécurité de leur mobilité. Seule une synergie de volonté
et de bon-sens, venant des pouvoirs publics et du
monde des affaires, pourrait faire arrimer la jeunesse au bonheur tant espéré
par tous. C'est la seule façon de sortir de la dualité entre le
désintéressement et l'incohérence, entre l'immobilité sclérosante et
l'épouvantail de la tempête. L'Algérie n'est ni malheureuse ni heureuse, mais
simplement insatisfaite de sa situation. Elle reste grisée et repliée sur son
passé récent et dans son sous-sol, cela risque de la mettre dans une léthargie
périlleuse et irréversible. Car comme il est dit : «un pays peut aussi périr
d'ennui».