La
crise. Quelle crise ? Il suffit de ne pas prononcer son nom pour qu'elle
disparaisse. D'effacer le mot récession du vocable officiel pour que les beaux
jours reviennent. D'envoyer des ministres en France signer à tout-va des
contrats de vente sur plan d'une Algérie penaude pour se persuader que demain
sera meilleur qu'aujourd'hui. La crise, on en parle tous les jours, on la lit
dans les journaux, on la regarde à la télé, on entend en parler dans les cafés
et les gargotes puis plus rien. Ouyahia nous a dit de serrer la ceinture et
qu'on allait en prendre plein la tronche, que lui nous aimait et c'est pour ça
qu'il ne voulait pas mentir à nos cadavres comme l'a fait Chadli. Il nous a
fait une petite leçon d'histoire sur Octobre 88, nous a moralisés pour
travailler davantage comme les Chinois. Puis, il s'est ravisé parce qu'on lui a
chuchoté à l'oreille du haut des balcons de la République qu'il fallait juste
nous cacher la vérité, dire que tout va bien, le temps qu'ils règlent leurs
affaires, qu'ils soldent les comptes et réservent un long-courrier pour le jour
où on n'aura plus rien à manger. Où on demandera, sérieusement, où est passé
l'argent de la terre et que personne ne nous répondra. Où on arrêtera de
travestir les chiffres, de nous berner avec des promesses de relance, de
structuration et de restructuration d'une économie aussi moribonde qu'un blessé
de guerre dans le désert malien. Alors fini de jouer quand les caisses seront
vides ou auront été vidées, c'est selon le degré d'optimisme populaire, lorsque
les fonctionnaires feront grève parce qu'ils n'ont pas été payés, que les
retraités s'immoleront devant les CNR parce que c'est plus digne et plus rapide
que de mourir de faim. Vers qui se tourner alors ? La France aura fermé son
ambassade et rapatrié ses enfants, de sang et de nationalité. L'Amérique de
Trump aura miné les routes menant vers El-Biar et placé un porte-avions en
sentinelle devant notre mer. Les Bédouins du Golfe organiseront des festivités
autour de nos corps en sursis avant de mettre le feu aux outardes offertes. Que
nous restera-t-il alors ? Nos reflets à maudire, nos voisins sur qui tirer, nos
villes à incendier et nos maquis à investir. Ni loi, ni roi, on traînera le peu
de dignité qui nous reste pour suivre la trace des Syriens, des Erythréens, des
Irakiens et de tous les damnés de cette terre. Mon pays ne connaît pas la
crise, c'est le slogan d'aujourd'hui pour une Algérie de demain qui pourrait ne
plus exister.