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Présent inhibé, passé prohibé

par Ahmed Farrah

Souvent l'unanimisme s'apparente à de l'hypocrisie, de l'opportunisme, du clientélisme ou à la contrainte et à l'asservissement de ceux qui le font. Certaines personnes ne partagent pas les idées ou les opinions des autres, et c'est tout à fait naturel, l'exprimer courtoisement ne devrait déranger aucun. Si le monde est monde, c'est parce qu'il est fait de tout et de son contraire, sinon la vie n'y serait qu'une monotonie involutive et décadente, les êtres : des clones à l'infini, leurs figurines se reflèteraient en continuité dans des miroirs, la même image, la même ombre et la même silhouette. Les uns se verraient dans les autres : mon moi, c'est ton moi, il n'y aura plus l'autre que dans moi. C'est terrible comme vie, c'est la sélection de l'unique par l'unique : pensée unique, mœurs uniques et vie communautariste en autarcie, isolante, plate et mortelle. Le monde deviendrait sans couleurs et la vie sans odeurs. Occulter la réalité, travestir l'histoire, la tronquer, la pervertir et la confisquer ne mène nulle part ceux qui bercent, infantilisent et bernent leurs semblables. D'autres, et sont légion, croient ou pensent et avèrent que l'histoire de l'Algérie a commencé seulement avec l'avènement des conquêtes musulmanes et pour d'autres encore, elle n'est que la fille naturelle de la Toussaint. Avant le Big Bang, c'était le vide sidéral cosmique, pas de trace de faune, ni de flore, la géographie n'existait pas encore pour eux et l'Homo-algérianus n'était qu'une légende et un mythe des anciens. Il est intellectuellement malhonnête de soustraire du temps au temps et de gommer la diversité et la richesse culturelle de la personnalité algérienne. Les fondements socioculturels intrinsèques qui font la particularité de tout un peuple sont un héritage séculaire. A chaque nouvelle période de l'histoire, la créativité et l'innovation, induites par des générations d'hommes à la recherche de la satisfaction de leurs besoins vitaux, de leur sécurité et de l'amélioration du confort de leur vie quotidienne, apparaissent des modes de vie nouveaux, des pratiques nouvelles et des croyances nouvelles. Ce progrès enrichit le patrimoine matériel et immatériel d'un peuple, diffusé d'une génération à l'autre et est régénéré indéfiniment, pour procurer et créer le sentiment d'une identité commune aux individus qui le composent. Depuis la nuit des temps, des peuples se sont succédé sur cette terre d'Algérie : les Phéniciens, les Carthaginois, les Romains, les Vandales, les Arabes, les Ottomans, les Espagnols et les Français ont tous apporté des croyances et des cultures différentes: païenne, juive, orthodoxe, catholique, chiite, ibadite et malékite aujourd'hui, ont imprégné et modelé la mémoire collective du peuple algérien. Cet évènement culturel à Constantine est l'occasion de rappeler la pluralité omise de l'Algérie pour corriger le regard que porte la société sur son histoire et non pas la trahir encore et encore, par des illuminés qui ont ouvert ces festivités par un affront ridicule à l'Histoire en déformant les noms de Cirta en « Qirta » et de Constantine en « Qasr Tina» ; malheur a un peuple qui ne s'assume pas et qui n'assume pas son histoire, toute son histoire.