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Elle sonne, elle gaze !

par El Yazid Dib

Une entreprise est parfois un système qui s'acharne à rester tel quel. Une hantise. Ni l'autonomie ni l'autogestion ne semblent lui porter ce regain d'adaptation aux nouvelles techniques de service et de production. Du temps de la chandelle et du quinquet, la lumière n'était qu'un rayon de soleil que l'on savait apprivoiser chez soi. Sans abonnement ni contrat d'adhésion. La société qui nourrit les poteaux, les réverbères, les axes routiers, les chaumières et les taudis ne veut plus changer que sous forme d'un artisanat mal formé. Elle se délègue aux p'tits maçons, elle s'abandonne aux tripoteurs. Elle est pourtant un enfer, une exigence pour qu'un feu éclaire une piaule, pour qu'une chaleur égaye des cœurs. Elle est dans le foyer de chaque foyer. L'hypertension n'est plus une maladie chronique qui fait sursauter un homme. Une femme. Elle le fait maintenant pour une maison. Un lotissement. La tension électrique est égale au pic de tension artérielle. Les souffrances sont urbaines, elles se subissent aux prises matinales et s'excitent à la pénombre. Elle partage toute la géographie des voies, des factures et des relevés de compteurs. Elle s'invite à force de câbles, de branchement pour venir se loger dans chaque plafond ou sur chaque mur. Voyageant d'une gare centrale à des relais, elle sonne le glas et gaze les ténèbres. L'énergie se transporte, se hisse, se vend chère et tue les oiseaux. Le métal des derricks comme un trait de bistouri vient, sans crier gare, et balafre l'azur du ciel et la verdure des campagnes.

Le tort, elle en commet comme le font pour le bienfait ses adjonctions. De fil en fil, de poste à poste, elle excelle dans les deux choix, les deux mesures. Venir installer une niche devant le seuil d'un abonné pour arroser les autres, c'est son sens des affaires. Une façon de rendre service par le service public, de faire de la promotion à la promotion, de vendre des citadinités. Les inégalités sont des invasions qui viennent jusqu'au bout de votre lucarne pour vous y mettre une colline et planter un pilier dans votre œil. Sans nul sens hospitalier, l'entreprise érige des énormités dans l'espace commun et craint de les loger chez ceux qui en font la demande. Si un promoteur immobilier manque de jus, il n'a qu'à réserver une place pour un robinet ! Pour guérir un mal, il faudrait recourir à une nécessité absolutive de la faire, sinon le mal crée un autre. De l'argent qui circule en s'accrochant à de l'électricité n'est pas sans encourager diverses tensions. L'entreprise est un monopole tueur qui asphyxie ses obligés adeptes en voulant bien leur offrir de l'éclairage et du tonus étincelant. A un problème technique, la raison commerciale recommande une solution technique et non pas une banale facilité. Creuser des tranchées, tendre des fils et décrocher un disjoncteur au sens scientifique est plus difficile que de changer tout adéquatement un équipement saturé. C'est de la concertation, du respect dans la discussion que jaillit la lumière, loin et pas forcément d'un poste transformateur inadéquat, figé et idiot.

«L'indice de confort» dont se prévaut l'entreprise reste mal placé s'il ne se situe qu'au niveau du nombre des branchements. La lumière n'est-elle pas dans un sourire quand ce dernier, en tout état de cause, coûte moins cher qu'une fourniture électrique et plus confortable qu'un court-circuit ? Que peut faire un corps inerte aux mains des laveurs de cadavres ?