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Discours du 19 mars, mais psychologie de l'été 62

par Kamel Daoud

Relu le dernier discours de Bouteflika. Celui du 19 Mars, pour essayer de comprendre ce qu'on y a lu et ce qu'il a voulu dire et si c'était lui. Car on en est là : on ne sait plus qui est Président de ce pays (un groupe ou un homme ?) au point où on ne sait pas s'il lit des discours qu'on lui a écrits ou si on écrit des discours qu'on lui fait signer. C'est d'ailleurs ce qu'il y a de plus dramatique dans le dernier discours de Bouteflika : non pas ce qu'il y dit mais si c'était lui qui le disait. Il se fait tellement remplacer par des représentants qu'on a des doutes sur le représenté. Première conclusion qui s'impose : on ne peut pas qualifier des opposants de «pseudo-hommes politiques» en assumant une fonction présidentielle par procuration. Le qualifiant de pseudo est, là, très malvenu.

En deux : le contenu. Gaz, In Salah, Ghardaïa et le 19 Mars, fête de la victoire. Dans le désordre. L'actualité y retiendra une lecture : Bouteflika menace et promet la fermeté. Laquelle ? On est habitués aux interdictions de marches (sauf pour les policiers qui veulent de l'argent), aux verrouillages, à la domestication de la presse ou aux abus d'obéissance. Que reste-t-il à faire ? Un peu plus peut-être. Plus fort, plus loin, plus ferme. Passons. L'essentiel est dans la psychologie du discours : colérique. Etonnante colère car on y déchiffre que le régime ne réagit plus qu'à son propre huis clos avec l'opposition. C'est son obsession. Pour le reste, il opte pour la matraque, la semoule ou le foot. Pour l'opposition, il envoie ses crieurs publics, ses Saadani, ses Benyounès et ses Ghoul, s'acharne, se met en colère, s'émeut, dénonce, accuse, parle de complot et de main étrangère. La seule grande émotion du régime semble être l'opposition, pas l'état du pays, la corruption ou l'école ou le sens de la nation. Etonnante névrose : rien n'existe que le pouvoir, moi, ceux qui veulent me le prendre ou ceux que je dois écraser avant qu'ils ne me le prennent.

La psychologie du régime est celle, sans fin, de la crise de l'été 62.

Seconde conclusion du divan : le monarchisme. L'opposition n'est pas admise comme exercice politique sain, «nuisance» positive, mais comme une traîtrise, un ennemi externe, une invasion. La seule opposition possible et admissible est celle qui ne s'oppose pas justement. L'opposition n'est pas traitée dans le cadre de l'adversité et de la concurrence mais dénoncée et attaquée comme un mouvement de harkis, d'agents occidentaux, de gangs.

La criminalisation de l'opposition est désormais la principale activité du régime et de ses mannequins en défilé de mode dans les villes du pays. Et, paradoxe, le régime continue de dire que cette opposition ne pèse rien mais le dit tout le temps, partout et sans cesse, démontrant le contraire. Cette opposition qui, aux yeux du «régime» ne pèse rien, constitue la principale activité de ses messagers et crieurs publics.

Par contrario, le sort fait à l'opposition (politique, intellectuelle, syndicale ou économique) éclaire la vérité du monarchisme ambiant : «Je, moi» et eux. L'Etat est mon pouvoir et le Pouvoir est moi. Bouteflika, ou le rédacteur de la lettre, n'admet pas l'échec retentissant et grave dans la gestion de la communication à In Salah et sur tout le dossier du gaz, mais accuse ceux qui ne sont pas d'accord d'être des traîtres. C'est plus facile. Ne pas être là, en live, en verbe, pour Ghardaïa et In Salah n'est pas perçu comme une défaillance et un manquement à la fonction, mais ce sont les autres qui sont de «pseudo-hommes politiques».

Le ton de ce discours est étonnant. Il démontre un durcissement. Une «dictaturisation» qui annonce le pire. Pour ceux qui s'opposent, disent non, disent autrement ou disent autre chose.

C'est le discours d'un nouveau régime, même si on a un doute sur l'auteur.