Y a-t-il une alternative idéologique
à l'islamisme dans notre planète déclassée ? A peine. C'est notre grand échec
au XXème siècle. Pas d'alternative dans le roman, le sens, la création ou
l'œuvre et l'ouvrage et la pierre, l'idée et le désir. La décolonisation comme
mythe est tombée dans la sénilité et le grabataire et ne fournit plus que les
dictateurs comme réservoir de légitimité. La « Gauche » ? Il ne faudrait même
plus en parler tant sa ruine est retentissante et pitoyable : de l'élan humain
et généreux, elle a viré vers l'aigreur, au mieux, et vers les compromissions,
au pire. Etrange catastrophe de cette offre : elle en est devenue, au bout de
quatre décennies, corporatiste, raciale, chauvine, méprisante et étrangement
hypocrite : de « gauche » dans le discours écrit, et de « droite » dans les
comportements sociaux et le discours de colons déçus. A la fin, le vide, le
désert, donc le Sahara, donc la révélation, donc le sacré, donc la négation de
l'homme. A la puberté, cet âge où l'on ressent le besoin de l'absolu, un jeune
dit « arabe » ou d'ailleurs ne trouve rien qui puisse l'aider à porter son
corps, admettre sa sexualité, s'offrir du sens et construire du monde. Rien que
la Révélation et, misère, ses détournements. La métaphysique la plus proche,
celle à portée de la main, celle qui vous explique le désir, l'étoile, la
sueur, le réveil, le temps, les cycles, reste le religieux et ses dogmes. Pour
tisser ses liens premiers avec le reste du monde, le jeune n'a que cette
vieille épopée philosophique et prophétique, décalée dans le temps mais encore
impérieuse. Rien d'autre, hors les islamismes et les intégrismes confortables,
n'aide à assumer le monde, à le supporter et à comprendre la douleur profonde
d'être là, face au temps et à la mort, dans l'échec des siens et de son
histoire. Du coup, parce que l'histoire fait mal, on s'en sort en la niant, en
la remontant. On annule le temps et son désenchantement par la transcendance
religieuse. Hors l'islamisme, le monde dit « arabe » ne propose pas de
philosophie, il ne le peut pas et ne le veut pas en tuant ses philosophes au
nom de Dieu qui a tout dit. Et hors le sacré, un jeune de ce siècle ou du
dernier ne trouve rien qui puisse l'aider et l'assouvir et lui donner du sens.
Rien qui puisse l'étreindre et le ranimer. Rien qui lui
donne le feu sacré sans le sacré, justement. Au fond, la seule solution au
djihadisme et à cet islamisme horizontal et bigot est la philosophie.
Bombarder, tuer, terroriser ou pourchasser ne suffisent pas. Pensée douloureuse
en regardant un jeune Algérien, assis au bas d'immeuble «social», dans une cité
d'Oran. Sous un ciel lourd, une route mal goudronnée, des grillages partout,
aucune verdure, un teint sale et des yeux terribles par le vide qu'ils
inaugurent : oui, qu'est-ce que je peux offrir comme récit du monde,
philosophie de vie et mythes à ce jeune homme qui puissent lui éviter de se
tuer, de tuer ou de sombrer vivant dans une tombe ambulante ? Quelle est ma
solution au poids du monde qui l'écrase si horriblement ? Je reste songeur et
comme abattu : il me faut faire plus pour que le rocher ne l'écrase pas.