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La fin de l'Etat algérien et de son mythe post-colonial

par Kamel Daoud

Chaleur sur la ville. Au coin de l'hôtel Royal d'Oran, une scène : un bien-nourri de la république du baril hurle à pleins poumons sur deux policiers. Les deux agents de l'ordre (disparu) baissent la tête et encaissent sans rien dire, puis s'éloignent, le pantalon maigre, l'épaule chétive et l'échine en papier plié. Les gens regardent. En essence, c'est la même scène que celle des policiers poussant la porte de la Présidence pour rencontrer le vide d'un Président disparu et qui ne reçoit que les amis du Golf. Etat vide. Coup contre le Non-Etat. On est passé de la dictature à la débandade. L'image hante le chroniqueur comme un nuage noir : c'est celle de la fin d'un Etat, d'un règne, d'une souveraineté. Qu'est-ce qu'un Etat ? Des institutions, une idée haute, une transcendance, une dignité de tous, un périmètre de soi, une sorte d'élan commun façon destin. C'est une époque morte qui se traîne de lit en lit, assistée par un amplificateur de voix, un frère, un Général, deux hommes d'affaires et l'odeur des médicaments. De la guerre de Libération à la guerre lasse. Du jamais vu : le portail de la Présidence pris d'assaut. Même pas au temps du FIS et de la guerre. De la délinquance. De la chute. De la mort. De la déliquescence. De la fin. Que dire de plus ? Les mots sont un nœud de rage face à tant de bêtise et d'indignité.

On va gloser sur les raisons : un ministre trop ambitieux qui veut culbuter un DGSN ambitieux mais sans culture politique ? Un ex-patron des services allié à un ministre contre un Frère ? Des insultes échangées pendant la dernière rencontre à Ghardaïa ? Un gouvernement avec la culture de jalousie d'un harem ? De la soupe pour pauvres. L'essentiel n'est pas dans les raisons mais dans les effets. C'est la fin du Non-Etat algérien. Une décomposition hallucinante, accélérée par un règne fou, aveugle, terrible de cupidité, terrorisé par le complexe de 1978 et par l'avenir, sourd et cupide. Tout le monde veut, se sent, devenir Président parce que c'est un pays sans guide ni étoile. Juste un terrain vague et sans honneur. On a eu la fin du peuple, puis la fin des services, la fin des élections, de l'armée, de la police et la fin de la fonction de Présidence réduite à des apparitions JT montées et dans la triche. Que reste-t-il ? De la colère chez les vivants et cet air abattu, triste et traînant qu'a le peuple qui se souvient du peuple.

Les mots sont un nœud de corde tombée. Que dire de plus ? La tête contre les murs où trouver encore la dignité d'être algérien ? Qu'avons-nous fait pour mériter ces janissaires et cet Etat devenu harem ? Tayabet El hammam ? A coups sûr, cela vaut pour le régime surtout, et ses hommes.