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En attendant le prochain édito «d'El Djeich»

par Kamel Daoud

Soleil dur. Actualité morte. Assise au bas de l'immeuble attendant le facteur. Pas de grands débats nationaux. Sauf, celui mou, sur l'armée algérienne. Qu'en faire ? On veut qu'elle s'engage. Dans le désert, dans la politique, dans la transition et en Libye et Tunisie et au Sahel et au Mali et à Alger. Un front de Libération, plusieurs fronts pour l'ANP. Aveux d'un sourd désespoir chez les élites politiques en quête de transition douce : maintenant on appelle l'armée à sortir des casernes. Au lieu de l'appeler à y rester. C'est le reflux après les années 90. Trop d'armée tue la démocratie. Mais si peu d'armée bloque la transition. Bouteflika n'est plus les trois quarts d'un Président mais l'armée est le trois-quarts de la décision. En gros, il a gagné, Lamari est mort, Toufik est isolé et Salah n'est pas Nezzar et n'écrit pas des livres. Le roman politique algérien est encore et toujours fascinant. Cela devient plus compliqué lorsqu'on connaît l'armée. C'est à dire lorsqu'on fait la différence entre l'Etat-major actuel, son patron et le reste du corps. « Arrêtez de parler de l'armée à tort et à travers », a dit un ancien officier au chroniqueur. « Parlez mais osez les noms. Dites Salah ou Nezzar mais ne généralisez pas ! ». La gardienne de l'unité nationale n'est pas une mais multiple ? L'uniforme est multiforme ? A creuser.

L'essentiel est chez les élites politiques : on a compris qu'il n'y pas de solution avec l'armée mais pas de solution sans elle. En vérité les élites politiques ne savent pas comment faire avec elle et sans elle et à côté d'elle. C'est un poids mais un poids mort. Un levier mais sans volant. Si on l'appelle à s'impliquer, la revue El Djeich vous dira non. Mais si on lui demande de rester loin, la même revue vous dira qu'elle est gardienne du pays. En gros, l'Edito de cette revue est le même depuis sa création et depuis toujours. Grand drame des évolutions politiques dans les pays nouvellement décolonisés : sans l'armée la transition est fragile et ne tient pas la route. Et avec elle, ce n'est pas une transition mais une mandature et une délégation formelle de pouvoir. C'est le propre des pays encore jeunes où l'ordre de souveraineté en est encore au symbolique des armes et de la puissance physique. Les élites n'ont pas encore construit des légitimités hors de l'histoire de la guerre et encore moins de réseaux économiques puissants hors de la rente propre du pays : pétrole, cuivre, blé ou sous-traitance coloniale. Cela conduit à des situations de blocage. C'est le grand dilemme dont la solution ne peut venir qu'avec le temps dans le meilleur des cas. Le poids des armées dans les pays nouvellement décolonisés est encombrant mais vital. C'est une nécessité mais aussi une fatalité. Cela conduit, come en Algérie, à un légalisme formel poussé à l'extrême, mais aussi à une perversion politique Occulte/Apparent qui se perpétue. L'armée ne fait pas de politique mais il n'y a pas de politique sans elle. Elle n'est pas élue par le peuple mais par l'histoire de la décolonisation. Elle n'a pas un parti, mais une mystique du tutorat et de la projection.

La situation est fascinante dans le cas algérien : en Tunisie la transition est douce parce que ce pays n'a pas d'armée. Mais en Libye la transition est une tragédie parce que ce pays n'a pas d'armée. Le plus intéressant donc c'est l'Algérie : pourra-t-on y avoir une transition parce que justement on a une armée ? Gaïd Salah a plus de soixante ans mais il est encore en poste. D'autres hauts officiers sont moins âgés que lui et ils sont à la retraite. Il y a donc plusieurs transitions à assurer. Déjà.