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Youcef de Ghardaïa dans le puits de sa nation

par Kamel Daoud

C'est le mouvement d'autonomie contre le mouvement d'autonomie. Avant-hier, à Tizi Ouzou, ont marché le MAC, le MAK et le MAM. Mouvement d'autonomie de la Kabylie, des Chaoui et des M'zab. En face, il y a le mouvement d'autonomie du régime. Les quatre sont une minorité démographique ou politique ou médiatique. Au choix. L'hyper centralisme d'Alger a provoqué des demandes d'autonomie qui sont pensées comme une solution du moindre mal : puisque je ne peux pas sauver le pays, je sauve ma partie du pays du naufrage du pays. C'est aussi une revendication en face d'un régime minoritaire qui ne répond plus à rien sauf à lui-même. Quand on ne pense pas la régionalisation, la gouvernance ou la décentralisation, s'éveillent les vieux fantômes des ancêtres pour réclamer un territoire à soi, un drapeau ou une justice. Les mouvements d'autonomie, au-delà du folklore politique, sont une expression sérieuse de l'urgence d'avoir un pays pour tous, équitable, juste, démocratique et gouverné selon les potentialités des régions, leurs vœux et rêves et cultures. Et ce qui aujourd'hui porte atteinte à la nation et son corps, c'est surtout le Régime et sa régence et son autonomie. Passons, tout cela étant vieux comme analyse, épuisé et déjà dit et redit sans que cela serve à rien. Les mouvements d'autonomie sont les enfants du mouvement d'autonomie du régime.

Car le plus fascinant, c'est la seule majorité du pays face aux autres minorités. La Majorité qui ne dit rien est rien. Le non-mouvement national. Le NMA. Une large majorité non automne. Qui ne défend pas l'autonomie du pays par rapport à son Régime mais qui sert au Régime à être autonomie vis-à-vis de tous. Celle qui est plus grande muette que la grande muette. Le mouvement du non-mouvement national. Fascinante physique aux lois rampantes.

A Ghardaïa, c'est aujourd'hui que l'on va connaître le verdit contre Ould Dada, l'homme qui est accusé d'avoir filmé des policiers coupables d'un vol présumé. Youcef est accusé d'avoir monté la vidéo en question. Selon ses avocats, ils ont demandé une expertise de la vidéo. Elle sera faite par? la police qui l'accuse justement. Une absurdité, un déni de droit, une injustice, une insulte. Mais le mouvement du non-mouvement national ne s'en préoccupe pas. D'ailleurs, le mozabite s'appelle Youcef. C'est-à-dire qu'il a douze frères qui le poussent dans le dos, un puits où il est enfermé et une chemise déchirée. « Les loups ont plus de pitié pour moi que mes frères », a écrit Mahmoud Darwish dans son célèbre poème. Le mouvement du non-mouvement est une grande réussite du régime autonome. C'est sa garde, son socle, son corps lourd et aveugle qui titube dans la cécité. On peut aujourd'hui égorger, emprisonner, détruire, maquer ou voler et disgracier, la plus grande majorité en Algérie est celle qui ne dit rien. Acquise, nourrie, logée, promise, achetée, soldée ou apeurée. Coincée entre le crash des printemps « arabes », la peur de l'Occident, le souvenir de la colonisation, la terreur de la punition des années 90, ce non-mouvement ne dit rien, ne voit rien et ne propose rien. Il regarde passer son pays derrière la vitre de ses fenêtres.

Question de fond : les mouvements d'autonomie ont-il un avenir ? Dans la solidarité. C'est-à-dire dans la fin du désir exclusif d'autonomie. Paradoxe du salut dans la fin de soi. Et pour le moment ? C'est Youcef Ould Dada qui est seul. Dans son puits. Il risque d'y rester trois ans. Sur un procès basé sur un dossier vide, avec une expertise menée par la police qui est juge et partie dans cette affaire.