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Palestiner, en rond

par Kamel Daoud

Début de semaine. Ou milieu du week-end. Il fait chaud, Gaza est bombardée et on tourne en rond. A l'affiche, les mêmes : les crieurs, les myopes et ceux qui veulent libérer la Palestine depuis leur naissance. Les salafistes qui ont tenté de marcher à Alger pour dénoncer l'ouverture annoncée des synagogues algériennes. Dans la pure logique du déni : on se met en colère quand la Suisse interdit des minarets chez elle, on dénonce l'islamophobie quand on ferme une mosquée-cave en France, on proclame l'Islam religion de tous, mais on interdit les synagogues chez nous, on encercle les églises et on emprisonne un homme qui veut choisir une autre idée de Dieu que l'Islam. Le salafiste et l'islamiste soft aiment être libres chez les autres mais n'aiment pas la liberté des autres chez eux.

Et Gaza ? C'est un métier : Palestiner. C'est-à-dire dénoncer les Juifs, la race, le complot contre l'Islam, marcher un peu, s'insulter les uns les autres pour crime de tiédeur dans la palestinisation puis rentrer après avoir brulé un drapeau. Impuissants mais insultants, chez soi. La Palestine est le pays qui sert à tout, sauf à être une terre : aux extrémistes pour justifier leur crime, aux islamistes de chez nous pour maquer la cause, aux baathistes pour se repeindre en héros, aux régimes, aux messianiques, aux annonceurs de fins de monde et aux racistes de chez nous et chez eux. Palestiner, c'est marcher un peu, parler beaucoup, dire n'importe quoi, avoir de grandes idées avec de petits muscles, se morfondre et faire du cliché et du surplace. Palestiner, c'est inventer, une deuxième fois, la roue. Crevée.

Palestiner est un métier alors que ce n'est même pas un verbe. C'est crier «Où sont les Arabes ?». C'est dénoncer la Ligue, insulter les avis différents et user le monde par son index. La palestinisation est une usure. C'est un mauvais goût de soi. C'est aussi un affreux sentiment d'impuissance que l'on nourrit en vous, une culpabilisation, une myopie depuis l'école : vous passez votre vie à attendre la délivrance d'un peuple sans œuvrer à la vôtre. Vous vous enfoncez dans le déni et l'exclusion, dans le délire de la guerre sainte et dans le désir de vengeance. Vous en devenez une caricature aigrie et rancunière.

Palestiner c'est marcher en rond. Confondre Royaume de Dieu et pointure de savates. Ainsi les islamistes à Alger et à Oran ont vite fait de grimper sur le dos de l'émotion du moment. Ils ont Palestiné des rassemblements. C'est un vieux métier aussi vieux que la «Cause». Arafat le savait lui qui a dû se battre pour autonomiser son problème des délires panarabes. C'était l'autre époque. Pour la présente, il est déjà dur de dégager la «Cause» d'un peuple, des effets d'une religion. Et l'histoire d'une colonisation de l'histoire d'une fin du monde.

Donc, c'est le samedi. Le même pays. Avec une sous-culture religieuse qui est devenue un dogme. Des restes de baathisme qui veut grimper sur le dos dromadaire de Gaza. De la chaleur. Du coma politique à El Mouradia. Réception d'un entraîneur de foot, dépôt d'une gerbe de fleurs, un communiqué sur Gaza puis la sieste. La vie unicellulaire d'un robinet qui a une barbe, une armée, un drapeau, une autoroute est - ouest, une vieille histoire qui sert de tuyau, un président en forme de coucher de soleil qui dure et un peuple dopé par la mythologie de Tabari et les hadiths qui annoncent la victoire finale du musulmans sur le juif. Par dénonciation des arbres et l'aide d'un messie. Attendant la fin du monde (assistée) comme un assouvissement. Ennui. 30 jours de vendredi. Rêver de la grotte de Ibn Khaldoun. Fraîche, profonde et juchée au-dessus des illusions de son époque et ses tromperies.