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Vers un «Aidez-moi !» médical télévisé

par Kamel Daoud

Comment ? Simple. Il sait que les Algériens sont de grands émotifs, des passionnés de la brièveté et de l'emportement à cheval ou à pied : il faut donc en appeler à leur sens de la pitié et de la compassion. Se présenter à eux malade, voix chevrotante, l'œil humide pour s'adresser à leur vaste cœur et pas à leurs petites raisons. Cela a déjà fonctionné en mai 2011 en pleine tempête. Là, il fallait se faire passer pour le père du peuple fatigué par tant de sacrifices et de martyr. Incarner la génération qui ne veut pas du pouvoir sauf comme Devoir et crier «notre génération est finie». Justement pour faire pitié et provoquer la réaction contraire. Genre manœuvre à la Nasser ou à la De Gaulle.

Cette fois cela sera encore du Gaullisme. La formule ? Le «Aidez-moi !» du célèbre Général qui obsède cette génération. Mais «Aidez-moi» contre le temps, la maladie, l'usure, l'âge, la loi de Dieu et de ses poussières.

Là, les Algériens seront touchés dans leur sens de la compassion et vous redonneront le pays comme un mouton que l'on offre au pauvre lors de la mort de son Père. C'est une technique qui fonctionne depuis la traversée du désert avec carte visa émirati. Manteau élimé et mine de l'homme trahi par les siens. Le prochain message TV sera donc un appel au don de sang type « Rhésus éternité ». Une technique de l'affect. Une culpabilisation des profondeurs : vous voulez nous lâchez nous ? Les pères ? Vous n'avez pas peur de la malédiction des fils égarés ? N'avez-vous aucun sens de la pitié, de la charité et de l'honneur ?

Méthode minable et indigne ? En politique rien n'est minable, sauf l'échec. Tous les moyens sont bons pour rouler un peuple et jouer sur ses peurs. L'apitoyer en est un de bon à cet âge. Donc c'est le round zéro qui se dessine : d'un coup, le handicap physique devient un argument de campagne. La maladie devient une force pour convaincre. L'usure devient une preuve de bonne foi. «Voyez, j'ai abîmé mon corps à vous servir et à servir cette nation. Vous ne pouvez pas ne pas me réélire». L'homme assis obligera le peuple à s'allonger. Il jouera la culture patriarcale de ce peuple, sur son sens de l'honneur et de la générosité. On peut ainsi mendier un pays entier à un peuple qui ne possède que ça.

Quand ? Le «Aidez-moi !» était prévu pour hier dit-on, cette chronique étant écrite à la mi-journée. Ou pour aujourd'hui. Ou demain. Juste le temps de synchroniser l'image et le son, la main, le trait, le verbe et la mine, séparés depuis des mois.