Un étrange débat algérien depuis les an-nées 90: faut-il ou
pas fêter le Nouvel an ? Les détracteurs disent non : le Nouvel an est
occidental, chrétien, impie, colonisateur, étranger. Et nous sommes arabes,
musulmans et Algériens. Ce qui est faux : le Nouvel an est romain, pas
français. Il est païen pas chrétien. Tout autant que le calendrier de l'hégire
qui remonte à Haggar la seconde femme d'Ibrahim et pas à la fameuse hijra,
fuite d'un prophète et de son compagnon. Les mouhajirounes qui se présentent
comme les exilés, sont en fait les arrière-petits enfants de Haggar (ô
troublantes parentés et mystérieux cousinage) et pas les pères du calendrier
arabe. Le lien avec l'Algérie ? La colonisation (réussie) des Arabes. Depuis,
le pays fête ce qu'il ne récolte pas, mais fête ceux qui sont venus prendre des
récoltes chez lui. Du coup, une possibilité de résistance aux temps des autres
: je ne fête ni le calendrier de l'hégire, ni celui de Rome. Le temps « arabe »
commence par une fuite en avant et continue sur une fuite en arrière. Le temps
de Rome commence par une invasion et n'a pas fini avec la décolonisation. Le
calendrier de l'hégire a provoqué même des maladies chez nous : on est
officiellement né dans un endroit où nous n'avons jamais mis le pied : le
Hejaz. Et le calendrier de Rome provoque de mauvais souvenirs qui se traduisent
par des réactions de rejets identitaires assises sous forme de fatwa, ou debout
sous forme de guerre de libération. Avec des signes de confusion : personne ne
sait, ou ne dit, en quelle date a commencé la révolution du 1er novembre selon
le calendrier de l'Hégire. D'ailleurs, certains imams refusent de se lever à
l'hymne de l'Algérie et au drapeau du pays à cause de ça : il y a le temps de
l'Islam et le temps perdu, selon eux. Le salafiste terroriste est celui qui a
tiré la 1re balle un 1er mouharam pour libérer la Oumma. Reste que si on
calcule selon l'ancienneté (le calendrier le plus vieux dans le grade le moins
élevé), le temps commence avec le calendrier amazigh. A cette époque des
origines, nous étions tous d'origine. Peuple de la terre du milieu, destiné à
de longues colonisations et à de courtes libérations. De ce calendrier ne nous
restent que le Yennayer, fête des récoltes et des anciennes divinités.
Aujourd'hui toutes deux importées : divinités et fruits secs. Le quatrième
temps, plus immédiat mais aussi flou que les autres, remonte au 1er novembre
54. Là, le temps commence quand on tiré la première balle, le 1er novembre de
la première année de la guerre. On aurait pu avoir Abane, Ramdane, Amirouche,
Ben M'hidi? etc, à la place de janvier, février, mars, avril?etc. Mais le choix
a été fait de donner à l'espace les noms des martyrs, pas au temps. Les
salafiste quand à eux, donnent les noms des compagnons du prophète aux mosquées
et aux batailles. Pour nous cependant, c'est une bonne décision : on a trop de
martyrs et seulement 12 mois et cinquante ans d'indépendance. On s'imagine la
longueur de l'année algérienne avec 1,5 millions de morts durant la guerre. Et
on s'imagine ce que serait un mandat de Bouteflika calculé sur ce calendrier de
l'année qui vaut mille ans dans les autres calendriers.
A la fin, pour avoir son propre calendrier dans le monde, il
faut avoir cinq choses : des récoltes (les calendriers fêtent les récoltes, pas
les importations alimentaires). Il faut fonder une religion, pas AQMI ou la
plus grande mosquée d'Afrique. Trois : il faut avoir une armée puissante qui
puisse imposer le temps du conquérant, au temps du conquis. Quatre : Il faut
maîtriser l'astronomie, pas la réfection des trottoirs. Cinq : il faut
travailler beaucoup, produire, vendre et imposer ses lois et son marché : le
repos du puissant est un jour férié, le repos du faible est un congé payé ou un
congé de maladie. Donc la réponse à la question du début ? Oui je fête. Toutes
les fêtes du monde. Et je suis prêt à ne pas fêter le Nouvel an de Rome, quand
on cessera de fêter le nouvel an du Hedjaz. En attendant, c'est le temps perdu
du reste de l'année qui devrait nous inquiéter. Et la fatwa qui condamne la
bûche au bûcher ? Les fatwas ne nourrissent pas les peuples, ils n'assurent que
les salaires des imams et le pouvoir des émirs.