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Biomatraque : comment fermer Alger à l'Algérie ?

par Kamel Daoud

Comment fermer Alger à l'Algérie ? C'est l'une des plus graves questions que se pose le Pouvoir après avoir faussement levé l'état d'urgence. Alger est en effet la cible: des colons, des Romains, des pauvres, des armées des Frontières, des riches, des protestataires. Puisque le pays a été vidé de ses institutions et qu'il n'y a plus ni maire, ni vrai élu, ni vrai médiateur, il reste Alger. Quand on marche vers Alger, pensent les Algériens, on finit toujours par obtenir quelque chose: Boumediene l'a fait avec Ben Bella, les chômeurs, les médecins, les avocats et les gardes communaux. Sauf que parce que Alger est au pouvoir, on ne veut plus de ça: les marches vers Alger et, directement, vers la Présidence sont désormais interdites, réprimées avec force. Alger est interdite. A qui ? Aux protestataires qui sont la moitié du peuple. Puis aux mal payés qui sont la moitié de la moitié, donc le un quart. Puis aux femmes non voilées qui sont le un dixième, puis aux chômeurs de Ouargla et du Sud en général. Puis aux Kabyles, puis aux opposants de toutes sortes. Que reste-t-il ? Les Algérois qui sont à Alger depuis avant les Ottomans, et le Pouvoir. C'est ce que peut tolérer le régime, chez lui. Alger prend et donne mais on ne peut ni la prendre ni la redonner.

Reste la question: comment faire pour fermer Alger ? En y important un nombre plus important de policiers que de locataires. Alger la bleue est visible à partir de Google-Earth à chaque annonce de marche de protestation. C'est la couleur de la capitale algérienne. La seconde solution est la chasse: à la peau noire quand ce sont les chômeurs du Sud qui veulent y marcher. Aux gens blancs et roses quand ce sont les médecins. Aux gens aux yeux clairs quand ce sont les Kabyles. Aux gens bruns à moitié cuits par le soleil quand ce sont les gardes communaux. Il y a chaque fois une recette et la police (toute la différence entre Biomatraque et pas biométrique) ne recourt pas aux détails mais à la génétique du faciès.

Dernièrement, ce sont les gardes communaux qui ont tenté de revenir marcher sur Alger. Comment a-t-on fait pour les empêcher de marcher dans la seule ville interdite aux Algériens 50 ans après le départ des colons? On les a attendus aux gares routières et aux portes des petits hôtels. Là, les confrères rapportent que tous ceux qui portaient un petit sac ou un cabas étaient fouillés puis embarqués. La raison ? Les gardes communaux sont venus avec leurs tenues cachées et tous les Algérois et les Algériens qui portaient de petits sacs étaient soumis à la fouille sévère. Ensuite ? Les indésirables ont été embarqués dans des fourgons et ramenés avers l'Algérie. C'est-à-dire leurs villes d'origine. Le geste aurait sûrement provoqué la fascination de Frantz Fanon. Lui qui analysait si bien les mimétismes colon/colonisé. Alger n'est plus la capitale de l'Algérie mais le sombre noeud d'une histoire de kidnapping, de vol, d'épousailles forcées, de libido et de désir. C'est le vrai butin de toute l'histoire algérienne des dix derniers siècles. Celui qui a Alger, n'a pas besoin du reste de l'Algérie, presque.