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Un musée qui prend son temps et son thé

par Kamel Daoud

Reprendre. Sur quoi puisqu'il ne se passe rien ? Dans l'ensemble, c'est à peine si c'est intéressant. A l'est, la Tunisie, qui est passée du faciès débile de Ben Ali à celui hautain et presque méprisant de Ghannouchi. A l'ouest, le Maroc et son éternelle guerre. Au centre ? La réception donnée par Bouteflika à l'occasion du 1er novembre. Dans la grande salle, la bousculade des dignitaires du régime et des invités. Une seule évidence : que des vieux, des « au-delà » sur deux pieds, des centenaires. Les seules jeunes vus étaient les garde-corps. Réformes ou pas, partis ou pas, ouverture ou pas, le Régime reste ce qu'il est et se résume à une seule équation : j'ai pris les armes, je prends la terre. Tout le reste est du blabla. Depuis 1962, l'exercice politique du régime se résume à des sortes de négociations d'Evian, sans fin, entre lui et les nouveau-nés qui arrivaient après la libération. En français dans le texte, cela s'appelle des tergiversations.

 Le Régime est un homme né de rien, devenu seigneur par les armes, transformé en propriétaire par l'indépendance. Que va-t-il faire ? Jamais redonner la terre qui est à lui, ni l'argent. Quand lui a sacrifié sa jeunesse, ce peuple n'était pas encore et donc il lui est impossible de s'abaisser à cette évidence. C'est cela sa conviction intime. Dans les pays de la décolonisation récente, les libérateurs sont propriétaires et ce rapport féodal à la terre se rapproche de la mystique presque. Hier donc, vu à la télé, le régime sous la forme de dizaines d'hommes, vieux, tremblant du corps mais encore vifs de l'œil, discutant entre eux, comme depuis toujours et depuis le congrès de la Soummam. Les révoltes « arabes », les révolutions voisines ? Cela se passe ailleurs, très, très loin. Le peuple dehors ? Il mange mieux qu'avant 62 et ceux qui se plaignent sont des agitateurs ou des insolents. Les réformes, un bon plan de Constantine fera l'affaire.

 Il ne faut pas être analyste, politologue, observateur pour avoir cet œil du bon paysan et comprendre l'essentiel : ce régime prend son temps et son thé et ne négociera jamais son départ ni sa retraite. Il est là, chez lui avec ses gardiens, ses casernes et ses polices. C'est ce qui était possible de voir lors de cette fête où on a été réduit, en visages écrasés sur les vitres, à interpréter l'absence de Zeroual ou celle de Chadli et la présence d'un Ben Bella.

 C'était donc le principal événement de l'Algérie avant-hier : un 1er novembre. Pour le reste de l'actualité dite « arabe », rien de nouveau : les dictateurs arabes se comportent encore une fois comme des malfrats preneurs d'otage. Décodez simplement leurs discours : à chaque fois qu'ils sont menacés, ils expliquent qu'ils vont faire exploser « la région », le pays, le quartier zenga zenga ou le royaume. Le dernier en date fut le boucher de Damas : si vous me touchez, je fais exploser le Moyen-Orient. A comprendre : c'est à moi, ce sont mes serfs, c'est ma terre. Si on m'approche, j'appuie sur le bouton. Langage de terroriste, de preneurs d'otage, de bandits de routes et de voleurs. Nous sommes leurs otages donc. Fallait-il décoloniser, à la limite, s'il fallait passer d'un maître blanc à un contremaître indigène et subir les mêmes avions, les mêmes morts, les mêmes tortures ou les mêmes fausses promesses ? On ne sait plus.