Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le FLN «C'est à mon Papa !»

par Kamel Daoud

Quand le taureau qui a libéré le pays tomba de fatigue après l'indépendance, des égorgeurs, nés d'un proverbe certifié, ont surgi. L'animal encore gémissant a été donc égorgé, dépecé, partagé, mis en morceaux puis réduit en boîte et en kasma et en congrès de dégustation. Après, sous le ciel bleu des origines, il resta les os, on les a réduits en poudre et on s'en est maquillé la face, on en a repeint les troncs d'arbres en blanc, les trottoirs. Après, on a donné la peau au président du moment, en guise de burnous, les cornes à l'armée, les sabots aux élus et les narines aux polices politiques et les yeux aux chanteurs du parti et de la culture nationale authentique. Il en resta la queue et on a expliqué au peuple qu'il faut qu'il s'y accroche avec conviction Mais il se trouva que, contrairement au proverbe, le taureau avait ce don de produire de la viande même après sa mort, de se reconstituer après les repas faits sur son dos et de devenir gras et délicieux à chaque fois qu'on croit l'avoir mangé définitivement. Du coup, le fameux proverbe est devenu un mythe, une légende et quelque chose d'invraisemblable et de nourrissant. Par mathématique, puisque le taureau ressuscitait après chaque égorgement, les égorgeurs sont devenus nombreux, très nombreux, impossible à compter, venant de très loin et de sous le tapis. Les égorgeurs ont donc investi le taureau de l'intérieur et le mangeaient vivant pendant qu'il regardait le temps passer. On le voyait tressauter, bouger, gambader mais ce n'était que de la dévoration, pas de la vie. Bien sûr, après l'indépendance, on se devait de donner l'image d'un Etat moderne et bien habillé: les égorgeurs se sont donc organisés en corporations, partis politiques, syndicat, RTA ou notables. Certaines mangeaient uniquement les oreilles, d'autres les cuisses et d'autres cultivaient des espoirs fous de rajeunissement en se donnant les prénoms du taureau.

 Et ainsi de suite. Bien sûr, le taureau c'est le FLN et vous l'aurez compris au temps de cuisson. Le FLN, car on voudrait tant que cette arme de guerre fasse la paix avec l'histoire, le peuple et les enfants et aille se reposer en paix pour nous permettre de construire les plaines et de vider les maquis. Mais cela n'est pas possible: tant que la rente excite, cet animal de nos profondeurs va ressusciter et provoquer les appétits encore et encore. C'est sous cette forme alimentaire mythologique que le Chroniqueur interprète les cycles honteux que connaît ce parti depuis peu: redresseurs, mangeurs, conservateurs, apparatchiks, égorgeurs, lipides et calories. Avant-hier, selon une info, c'est le fils de Belkhadem qui serait venu au congrès des redresseurs à Alger pour défendre le bien de son Père. Le FLN est le bien d'une famille. D'abord famille révolutionnaire et, ensuite, famille familiale. C'est à croire que c'est le destin de tous les partis décolonisateurs dans le monde arabe: finir en bien propre d'un fils. Syrie, Libye, Egypte et en Algérie. On a pensé que Bouteflika n'avait pas d'héritier en droit de sang, on a oublié Belkhadem et les autres. Donc, le fils est venu défendre l'animal de son Père et de la famille. Le taureau, devenu encore une fois gras, était en train d'être égorgé par des égorgeurs qui s'égorgeaient entre eux. Jamais une maladie n'est allée aussi loin dans le Mal.