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Hedy Epstein n'est pas seule

par Kamel Daoud

Casser un tabou : parler par exemple des juifs qui sont contre le sionisme. On ne le voit pas car chaque partie ne voit que les siens et elle-même. A bord de la flottille pour la paix piratée par l'armée israélienne en eaux internationales, il n'y avait pas que des Turcs, que des Algériens, que des musulmans, que des « Arabes ». Il y avait des Irlandais, des Suédois, des Français, des Européens de tous les pays, des Américains et une rescapée de l'Holocauste : Hedy Epstein, 85 ans, ainsi que l'ancien archevêque catholique grec d'El Qods/Jérusalem. La flottille n'était pas une résistance religieuse, ni un parti du « sud », ni une démonstration contre l'Occident, mais un acte de l'humain contre l'inhumain. Il faut sans cesse le rappeler pour que notre réaction ne ressemble pas à celle de nos ennemis : racisme et exclusion au nom de la race ou de la force ou de la religion. Et c'est pour cette raison qu'il faut parler de ces juifs qui existent et dont nous ne parlons pas et qui peuvent être notre force et pas notre faiblesse et qui sont contre le Mal. Le gouvernement israélien qui cherche la guerre a été certes élu par des israéliens enfants de la propagande de leur drame, fils de l'immigration sélective raciale et protégés des lobbys épars, mais les électeurs ne sont pas tous des enfants du Likoud mais ses enfants terrorisés. A chaque acte de notre haine, c'est la droite israélienne qui recrute dans ses rangs des gens effrayés par l'image que nous donnons et par le slogan « les Arabes veulent vous jeter à la mer ». Nous sommes acteurs d'une propagande qui se fait contre nous, contre les gens de paix au profit des gens de la guerre. La flottille pour la paix a réuni l'humanité pas la nationalité. Et cette humanité, nous devons en faire notre arme pour que se joignent à nous les voix de la résistance à Israël, au sein même de la communauté juive. Arrêtons d'en faire un conflit de religions millénariste alors que, sous nos yeux, ce sont des Américains, des étrangers, des juifs qui ont fait acte de courage et pas nos annonceurs de fin de monde. Nous n'avons, à la fin, que cette arme de la conviction à partager pour gagner la guerre contre cet Israël-là : convaincre de plus en plus de ses électeurs à changer la guerre en paix et accepter cette paix. L'image d'une cause palestinienne, habillée de barbes et sous-titrée par des vidéos d'El Qaïda ou par des cris antijuifs est le plus grand service gratuit que l'on rend à la propagande sioniste. Le premier acte d'efficacité serait de démanteler ces constellations de mythes sur lesquelles le sionisme a bâti son argumentaire : pas seulement en Occident où il a ses relais, mais aussi et surtout chez nous où la mythologie antijuive a pris les formes d'une alliance inconsciente avec les recettes sionistes.

Les juifs sont nos voisins, ont été nos concitoyens, ont habité cette terre autant que nous et l'empire religieux de l'islam n'a jamais ou presque fait sien des idéologies de races sauf en ses moments de grandes faiblesses. La rescapée de l'holocauste qui était passager de paix dans la flottille vers Gaza n'est pas unique ni seule : d'autres sont comme elle et ce n'est pas à nous de la laisser seule et solitaire. Son courage est deux fois plus grand que le nôtre et s'il y a une issue au drame, c'est en cherchant parmi les siens des gens comme elle, et les soutenir. Tous les musulmans ne sont pas des terroristes et tous les juifs ne sont pas sionistes. Une banalité ? Oui, mais une banalité encore minoritaire. Et pourtant, il n'y a plus d'autres solutions que de rappeler l'humain aux hommes de toutes les religions. Israël reste une démocratie pour les siens et nous pouvons y « voter » en aidant les meilleurs contre les pires, seulement en rappelant que nous ne voulons pas la mort des juifs mais seulement de l'apartheid qui les utilise comme électeurs.