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El-Mourabitoun: retour vers le futur

par Kamel Daoud

El-Mourabitoun : retour vers le futur On ne sait pas si l'info est un canular ou une vérité amusante : la création d'un nouveau parti du nom d'El-Mourabitoun. Pour ceux qui s'intéressent à la longue histoire prénatale de l'Algérie d'aujourd'hui, il s'agit d'un dynastie qui domina l'Espagne et l'Afrique du Nord, fondée par des tribus berbères sahariennes nomades, et dopée par l'idéologie très salafiste de l'époque d'un savant importé de l'Arabie Saoudite d'aujourd'hui, avec le même schéma de maquis, «couvents», ribats, sorte de casernes religieuses. Le Djihad y sera proclamé dans les deux directions : vers le Sud africain et vers le Nord «impie».

Fait curieux, cette dynastie est à l'origine d'un phantasme devenu un désir géographique : elle commença par conquérir le Maroc, puis Tlemcen, Oran, Ténès puis arriva à Alger en l'an 1082. Une vraie technique d'armée des frontières ou d'Oujda. Le patron des Mourabitoun sauva les Andalous de la Reconquista espagnole, ce que l'armée des frontières n'a pas envisagé cependant. Les Mourabitoun étaient un mouvement islamiste populiste extrême, admiré pour ses armées et craint pour son intégrisme. Son dernier vrai chef sera tué à... Oran en 1147, dit-on.

Cela veut dire donc quoi créer un parti politique du nom d'El-Mourabitoun en Algérie d'aujourd'hui ? Cela veut dire que si la religion est interdite en politique, sauf pour le MSP, la guerre de Libération est interdite à l'usage indépendant, sauf pour le FLN, l'Administration interdite, sauf pour le RND, et l'opposition permanente déconseillée, sauf pour ceux qui sont déclarés démocrates, il reste l'Histoire précoloniale tombée depuis longtemps dans le domaine public. Rien n'interdit en effet de créer un parti du nom d'El-Mourabitoun, ou d'El-Mouwahiddoun. Rien ne l'interdit sauf le comique léger de la situation : un pays qui, faute de perspectives d'avenir, recourt à son propre passé pour se redonner des noms de dynasties mortes depuis si longtemps qu'on peut en remâcher les armoiries sans risque. Du coup, rien n'interdit alors de recréer, par manipulations génétiques de l'Histoire, des fossilisations idéologiques mortes : un royaume à Tlemcen, un autre à Tiaret (vif intérêt possible de Belkhadem, Belkheir ou Hadjar), un beylicat à Constantine (Betchine ?) et une annexe d'Erdogan à Alger.

Engagés dans cette vaste entreprise de reconquête de la mémoire par l'humour de la géographie et de l'histoire par les organes, on continuera ce chemin qui monte, jusqu'à la conquête de l'Espagne par les harraga andalous, puis jusqu'à l'arrivée des conquérants arabes, puis jusqu'au Romains, Phéniciens.... Le passé n'a pas de fin et l'avenir n'a pas de but. Et rien n'illustre mieux la névrose des calendriers algériens que cette nouvelle réinvention étonnante. La régression vers l'utérus s'y dévoile comme une solution vers le futur.

Ce n'est pas peut-être pas si irrationnel que l'on peut croire : peut-être qu'il est tout à fait raisonnable de remonter vers le passé pour retrouver ce moment de basculement où, au lieu de prendre un chemin qui aboutit à un pays développé, on a bifurqué vers ce sentier qui nous mena à ce que nous sommes aujourd'hui. Tout le génie aléatoire serait de fixer exactement et mathématiquement ce moment X. L'arrivée des Arabes ? Des Romains ? L'appel aux Ottomans ? Le coup d'éventail ? Le redressement de Messali ? Peut-être.

Voici une proposition : faire remonter dix Algériens sincères et convaincants jusqu'à Ghazaouet du 19e siècle, à la veille du départ de l'Emir Abdelkader, et le supplier de garder son cheval en lui promettant des comités de soutien partout, une armée des frontières fidèle et des Algériens ramenés par bus de tous les vals et creux du pays. Fantasmons alors sur la suite de cette histoire nationale corrigée dès les premières pages de son dernier tome.