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Privilège d'autorité ?

par Abdelkrim Zerzouri

Alors que le Front de libération nationale (FLN) historique, le bras politique de l'Armée de libération nationale (ALN) durant la guerre de libération nationale, s'est dissocié du parti du même nom, le P/FLN, depuis un certain mois d'octobre 1988, qui a donné naissance à l'avènement du multipartisme en Algérie, l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) se confond, elle, encore et toujours avec l'organisation historique, l'autre bras syndicale dans la lutte contre le colonialisme, et qui a été créée le 24 février 1956. Bien sûr, sans prétendre se mesurer à la stature de son alter ego historique, le P/FLN garde dans les esprits ce lien avec l'ancienne formation politique, qui a absorbé toutes les couleurs politiques en vue d'unifier tous les efforts vers un seul but, l'indépendance. D'où les voix qui se sont élevées, et continuent encore, revendiquant le retrait de ce nom à la formation politique qui le porte et le garder en tant que symbole de l'histoire.

Le P/FLN, quand il défend sur ce plan, se rend à l'évidence et nie toute velléité de vouloir s'assimiler au parti historique, même s'il prône des principes identiques, ce qui est son droit. Tout bien considéré, la révolution sur le plan politique n'a pas eu son égal sur le plan syndical. Cela reste, jusqu'à présent, la plus grande énigme du système algérien. Le multi-syndicalisme est bien reconnu dans un cadre constitutionnel, ainsi que sur le plan de la ratification par l'Algérie de la Convention internationale N 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, preuve en est cette centaine d'organisations syndicales enregistrées auprès du ministère du Travail (en juin 2019), et la porte reste ouverte à la poursuite de l'enregistrement des organisations syndicales, dont les dossiers sont conformes à la loi, mais dans les faits, l'UGTA, malgré des passages dans le creux de la vague en matière d'adhésion des travailleurs, reste l'interlocuteur ou le partenaire social privilégié des pouvoirs publics. En sus des tripartites qui se sont tenues par le passé et où l'on ne faisait appel qu'à l'UGTA lors des discussions autour du pacte social et économique entre gouvernement, patronat et syndicat, la date du 24 février rappelle également chaque année cette vérité, qui occulte la réalité de l'existence de plusieurs syndicats, qui se sont auto-qualifiés, non sans raison, «autonomes».

Ainsi, en accouplant la célébration de la nationalisation des hydrocarbures (24 février 1971) à la création de la centrale syndicale (24 février 1956), n'a-t-on pas de fait exclu d'autres organisations syndicales pour lesquelles également le 24 février constitue une date symbolique de la réappropriation des biens et richesses du pays ? A l'époque, quand on a décrété la célébration du 24 février, on pouvait se permettre d'ajouter à cette date historique la création de l'UGTA (24 février 1956) par Aïssat Idir, car rien ne s'y opposait, cela coulait même de source. Mais, aujourd'hui, l'UGTA, peut-elle se targuer d'être la seule organisation syndicale représentative des travailleurs algériens ? Des milliers de travailleurs, qui sont affiliés à d'autres syndicats, ne trouvent pas leur repère, notamment quand la cérémonie afférente à cette célébration se tient au siège de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) !

L'Algérie nouvelle, qui va résolument vers une rupture avec les pratiques de l'ancien système, devrait s'essayait à un nouveau mode du multi-syndicalisme, basé sur la transparence et le respect des lois autant par les pouvoirs publics que par les syndicats eux-mêmes, tous les syndicats sans exception, qui doivent pour leur part s'assujettir totalement à la réglementation, notamment en matière de taux légal d'adhésion, ou disparaître. La liberté syndicale n'est pas moins importante que d'autres libertés individuelles et collectives. Et, les autorités, qui ambitionnent d'ouvrir une nouvelle ère sur le plan des relations socioprofessionnelles, basée sur le dialogue et la concertation avec le partenaire social, doivent se mettre à égale distance de tous les syndicats en exercice légal. Un déclic que certains syndicalistes «autonomes» considéreraient comme véritable gage de bonne volonté pour aller vers une Algérie nouvelle.