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Annonce de décès

par Moncef Wafi

La directrice du quotidien arabophone El Fajr a annoncé qu'elle allait entamer une grève de la faim à partir d'aujourd'hui pour protester contre la mort lente de son journal causée par l'absence de publicité institutionnelle, première source de financement de l'entreprise. Cette grève de la faim, si elle vient à avoir lieu, n'est pourtant que le sommet de l'iceberg d'une presse privée, dite indépendante, qui est à l'agonie. La crise financière qui a plombé l'économie du pays n'a pas épargné le secteur des médias, impactant en premier la presse écrite qui vit, peut-être, ses dernières années.

La sentence est brutale mais logique dans la mesure où la publicité, étatique et privée, s'est réduite comme peau de chagrin. La réalité est palpable, comptabilisée à travers les 26 quotidiens et 34 hebdomadaires qui ont disparu du paysage médiatique national depuis 2014. L'info a été donnée par le ministre de la Communication, Djamel Kaouane, qui tiendra quand même à rassurer qu'en dépit de cette situation, le monde de la presse reste «dense», avec l'existence encore de 140 titres. Jusqu'à quand ? Il n'est un secret pour personne que la première source d'argent des journaux reste la publicité, à hauteur de 100% pour certains titres qui ne survivent que sous perfusion de l'Anep.

Cette vérité connue et avec une réduction drastique du lectorat francophone, l'augmentation du prix des titres phares de la presse nationale, il est aisé d'imaginer le tableau final d'une descente aux enfers, un Super-G, qui va précipiter plusieurs centaines de familles au chômage. Si, comme l'affirme le ministre, le problème de la pub est foncièrement économique, les journaux, eux, pensent tout le contraire. En effet, des patrons de presse dénoncent une instrumentalisation du monopole de la publicité institutionnelle, devenu un levier de chantage dans le traitement médiatique. Ils dénoncent également, à tort ou à raison, une pression exercée contre les annonceurs privés de priver les journaux indépendants de leurs placards publicitaires.

Si l'Etat est dans son droit de donner la pub aux journaux qu'elle choisit, quoique incompatible avec l'éthique et le souci de rentabilité pour les entreprises publiques et collectivités locales, elle est en revanche en porte à faux quand elle s'ingère directement dans les plans médias de sociétés de surcroît étrangères. Même si officiellement on n'admettra jamais que l'Etat a programmé la mort des titres qu'elle ne peut pas contrôler, il est clair que la politique adoptée et le discours ambiant creusent les dernières pelletées de la tombe de la presse dite indépendante.