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La magie du foot

par Abdelkrim Zerzouri

Le sport adoucit les mœurs politiques. Touché peut-être par le slogan humanitaire de la Fifa, bien mis en vue sur une banderole qu'on étale dans les stades avant le début des matchs et où l'on peut lire en gros caractère «non au racisme», le président d'honneur du parti d'extrême droite le Front national, Jean-Marie Le Pen, a créé la surprise générale après avoir salué les performances des Verts dans leur parcours en Coupe du monde. Puis, sans se départir de son cynisme habituel, il avouera qu'il ne félicite pas les supporters algériens dont la liesse exprimée par notre communauté émigrée et les Algériens naturalisés français n'a pas été du goût d'une partie de la population, soutenue par une certaine classe politique, qui n'a pas laissé passer l'occasion pour se défouler contre ce supporter étranger qui affiche sa joie et brandi le drapeau algérien sur la terre de l'hexagone.

On n'aurait jamais osé lever la main contre d'autres supporters étrangers qui auraient célébré la victoire de leurs équipes nationales. Bien sûr, on le concède volontiers, les Algériens sont nombreux et bruyants - comme presque tous les supporters de football -, mais est-ce une raison pour laisser libre cours à la haine et au racisme ? On apprécie la qualité du jeu des Verts, leur combativité, mais on voudrait qu'ils restent chez eux avec leurs supporters. Le Pen, le père, avait lancé un tweet sur lequel il dit bravo à l'Allemagne et à la France, mais aussi chapeau à l'équipe d'Algérie. Sportivement votre. Le Pen, le père, dira par la suite qu'il est étonné qu'on soit étonné de sa réaction. C'est que l'opinion est habituée de ne voir couler de ses lèvres que haine et vindicte contre les Algériens, les Arabes et les étrangers en général. Surtout lorsqu'il s'agit de tomber à bras raccourcis sur les Algériens, Le Pen qui avait bâti toute la morale de son parti sur la haine de l'autre, l'étranger, ne ratait jamais la moindre occasion pour verser dans l'insulte et l'invective, voire l'humiliation en trame de fond.

Ainsi, on ne peut qu'être surpris de voir Le Pen parmi les supporters des Verts, ces supporters qu'il ne félicite pas, s'est-il laissé surprendre à dire dans ses réponses à propos de sa réaction sportive. Non, on n'est pas seulement surpris, on ne peut pas croire que ce chapeau levé pour les Verts soit sans arrière-pensée. Longtemps retiré du devant de la scène médiatico-politique, Jean-Marie Le Pen n'a vraisemblablement pas trouvé mieux pour se faire entendre. Qui l'aurait entendu ou écouté s'il se serait arrêté à saluer les performances sportives de l'Allemagne et la France ? Le piquant dans cette histoire, c'est justement ce chapeau pour l'Algérie. Enfin, le sentiment véritable nourri à l'égard des Algériens, il est exprimé de vive voix par Marine Le Pen, celle qui a hérité du poste de son père à la tête du parti d'extrême droite, le Front national en l'occurrence, appelant à mettre fin à la double nationalité au moment même où les Algériens célébraient, dans les rues de France, les éclats des Verts au Brésil.

Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Abdelaziz Benali-Cherif, a tenté de dédouaner son pays, indiquant que cet avis ne représente point la position officielle de la France, mais l'on craint sérieusement avec la montée en puissance de l'extrême droite que cette position ainsi que d'autres tout autant hostiles aux Algériens soient un jour ou l'autre celles de la France officielle. A moins de faire en sorte que notre équipe nationale soit toujours aussi performante pour mériter un «chapeau» et, peut-être, qu'on consentirait un peu d'égard pour ces Algériens qu'on découvre pugnaces sur le carré vert. La magie du foot pour «lever» la tête des Algériens.