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Effets du double langage

par Kharroubi Habib

La poursuite des bombardements sur la Libye et l'accroissement de leur intensité ont suscité de vives réactions internationales, y compris au sein de la coalition, dont certains membres émettent désormais du doute sur la légalité des objectifs assignés à l'action internationale en Libye.

 La Ligue arabe, dont l'aval a été déterminant pour le vote par le Conseil de sécurité de l'ONU de la résolution 1973 autorisant une intervention militaire en Libye, est le premier acteur international à critiquer la tournure prise par cette intervention, en estimant «que les bombardements de la coalition s'écartaient du but qui est d'imposer une zone d'exclusion aérienne». Ce à quoi a fait écho l'Italie, dont le ministre des Affaires étrangères a déclaré que son pays «refuse que la coalition mène une guerre contre la Libye». Point de vue que l'Allemagne partage.

 La Russie a quant à elle franchement désavoué l'intervention en cours en la qualifiant «d'opération qui rappelle les croisades». L'Inde et la Chine n'ont pas été en reste puisque les deux pays se sont prononcés pour son arrêt immédiat.

 Toutes les prises de distances et condamnations qui se sont exprimées sur cette intervention n'ont pas apparemment perturbé l'axe Paris-Washington-Londres qui la mène selon la stratégie et les buts qu'il s'est fixés en ignorant ce tollé international.

 Il n'empêche que, désormais, l'intervention internationale est entachée de suspicion, à telle enseigne que le secrétaire général de l'ONU, dont l'organisation est interpellée par les critiques et réserves, a dû inviter «la communauté internationale à parler d'une seule voix pour mettre en œuvre la résolution du Conseil de sécurité».

 La cacophonie qui s'élève sur le bien-fondé ou non des opérations telles qu'elles sont menées par la coalition était prévisible, dès lors que c'est le double langage et les non-dits qui ont prévalu au Conseil de sécurité sur le contenu de la résolution 1973. La France et la Grande-Bretagne ont fait le forcing en faveur de l'intervention internationale en faisant prévaloir la nécessité humanitaire, mais en cachant soigneusement la véritable intention qui est la leur, à savoir faire tomber El-Kadhafi et son régime. Les deux pays, approuvés en sous-main par les Etats-Unis, font ce qu'il faut pour atteindre cet objectif même avec le feu vert onusien qui ne le fixe nullement

 La zone d'exclusion aérienne sur la Libye instaurée, l'armée de Kadhafi stoppée dans ses offensives contre les insurgés, son potentiel militaire sérieusement éprouvé et ses lignes de communication et de ravitaillement pratiquement coupées, les bombardements que la coalition poursuit n'ont plus de justification, sinon celle d'en finir avec le dictateur et son régime.

 Là aussi, l'axe Paris Washington et Londres est dans le double langage. D'un côté, il dément poursuivre cet objectif, de l'autre, ses opérations prouvent le contraire. Il est clair que cet axe ne veut pas du cessez-le-feu demandé par la résolution onusienne 1973. Ils sont en train de créer les conditions pour que cette exigence onusienne ne soit même plus possible à satisfaire par Muammar El-Kadhafi. Car, sans plus avoir d'armée un tant soit peu redoutée, le dictateur ne sera plus en situation de proposer quoi que ce soit aux insurgés.

 Que les Etats qui ont fait ce calcul aient pris leurs aises avec le contenu de la résolution onusienne n'est pas pour surprendre, quand on sait la façon arbitraire qu'ils ont d'interpréter la légalité internationale. Ce qui est surprenant, ce sont les indignations a posteriori des Etats qui, sachant leurs calculs, leur ont accordé leur feu vert sans y mettre des conditions contraignantes.

 Quant à la Ligue arabe, elle a été digne dans son traditionnel rôle de «danseuse du ventre».