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Quinze milliards d'euros pour des traits de pinceaux

par Abdou BENABBOU

Au cours de cette année, des tableaux dits d'œuvres ont changé de propriétaires pour près de quinze milliards d'euros. Quinze milliards d'euros pourraient constituer le budget de plusieurs pays africains et d'autres dans le monde en disette permanente. Pas deux, pas trois, mais certainement des dizaines !

Quinze milliards trébuchants sont certainement la somme nécessaire pour pourvoir des millions d'êtres sur la terre en eau courante potable et les prémunir de n'importe laquelle des épidémies. Ils permettraient la construction de milliers d'écoles et de centres de santé dans des contrées où des enfants continuent de marcher pieds nus et se nourrissent d'herbes et d'épines.

Les richissimes dépositaires de ces œuvres d'art gagneraient au change en se prémunissant du foudroiement des pandémies car celles-ci comme on l'a constaté n'épargnent ni les lords, ni les émirs, ni les rois aussi hauts que soient placés leurs trônes.

D'aucuns pourraient être choqués par des récriminations levées par la conscience effarée contre ce que l'on considère comme le grand art. On pourra rétorquer à la volée que chacun est libre de tresser ou de tricoter sa fortune comme il l'entend, mais tout le monde sait que nul n'emmènera avec lui ses glorioles matérielles au Paradis. On pourrait encore, souvent avec juste raison, pointer du doigt les affres de la corruption qui gangrène des sociétés humaines au sein desquelles la misère est plombée. On se contentera d'affirmer que les peuples ont les dirigeants qu'ils méritent en occultant les injections sous-cutanées des colonialismes au nom de la religion et de la civilisation.

On a beau devoir témoigner de la reconnaissance et de l'émerveillement devant le grand art, on ne peut, devant le malheur qui torture une grande partie de l'espèce humaine, empêcher la conscience d'être dérangée par une coulée aussi gigantesque de milliards d'argent afin de satisfaire des gâteries individuelles aussi énormes. Ce penchant ne peut se départir d'un évident caractère immoral.

Au cœur de ce constat amer, c'est aussi le drame du partage inégal des richesses du monde dont il est question.