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LE RIRE AU NEZ DES GENERATIONS FUTURES

par Abdou BENABBOU

La journée d'hier, 11 novembre, jour anniversaire de la signature de l'armistice qui mit fin à la Première Guerre mondiale, a ici et là remué quelques mémoires saines à l'opposé de celles obscurcies chez des oublieux bien plus préoccupés par des attaches basses de territorialité. Replonger encore et toujours dans la littérature de l'instantané pour revendiquer un monde de paix et de concorde retient aujourd'hui les esprits dans le puéril et dans l'inertie alors que les générations futures nous rient au nez et ressortent à chaque occasion des faits et des actes pour nous démontrer que l'humanité est dans l'erreur des registres et qu'il faut que nous fassions le sage effort de les écouter. Elles sont capables de nous donner des leçons de vie. Un enfant, Dounia Chekembou, pour ce faire s'est contenté de nous transmettre une lettre d'un des 175.000 Algériens qui ont donné leur vie pour libérer le monde de ce qu'il avait de plus abject:

«11 novembre 1916. Aujourd'hui, nous sommes de repos. J'en profite pour écrire un peu sur notre vie quotidienne au cantonnement. Malgré ce que peuvent dire certains, nous vivons à un niveau à peu près égal des autres soldats d'Algérie, juifs ou chrétiens. Je suis assez heureux de constater que nos supérieurs respectent à peu de choses près nos us et coutumes ainsi que nos convictions religieuses. On ne nous donne pas de porc à manger par exemple et on veille à ce que chacun de nous puisse avoir sa dernière «chahada» à l'enterrement.

Pas plus tard qu'hier, celui qu'on surnommait «Moh el rougi» est décédé. Ce fut un moment très dur pour nous ses compagnons, mais nous sommes parvenus à respecter tous les rites funéraires. Nous avons aussi récemment fêté le Mouloud entre Tirailleurs musulmans et les autres soldats ont été très ouverts à cette célébration. Nous en ferons autant pour Noël qui vient. Lors du Ramadan, nous continuons à recevoir nos rations, que nous consommons aux heures du ftour. Certains considèrent que ces parts et les soldes sont très insuffisantes mais pour les plus démunis comme moi, c'est déjà énorme. Je dois néanmoins avouer qu'en ce moment ça ne va pas fort, notamment en raison du froid européen qui est bien différent du climat d'Algérie. J'ai demandé à ma famille de m'envoyer des tenues plus chaudes mais, avec le contrôle postal, les colis mettent trop de temps à arriver.

Tout le camp connaît un moment de «wehcha». Nous sommes fatigués, épuisés et les conditions de vie ne sont pas trop à notre avantage. Pour ma part, Yemma me manque, ma femme et mes enfants aussi, j'espère que le peu d'argent que je leur envoie les aidera et j'aimerais également les revoir très bientôt. Si je ne reviens pas vivant de cette boucherie, j'espère que mes enfants un jour liront ce journal et qu'ils verront à quel point leur père était fort et les aimait. Je retourne à présent faire ma prière dans la mosquée de l'arrière.»