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LE BLASPHEME ET LE JURON

par Abdou BENABBOU

Depuis la cascade des arrestations des grosses pointures de la politique, de la finance et de l'industrie, la scène économique algérienne semble ligotée et figée. Tous les secteurs de l'administration et de l'économie se sont croisé les bras sans crédibles et justifiées raisons. Pourtant en poste et chargés d'entretenir la bonne marche du pays, les acteurs économiques et administratifs donnent la nette impression de s'être donné le mot pour une grève perlée qui ne dit pas son nom.

Il n'est pas du tout question d'un arrêt de travail pour une quelconque revendication mais d'une anesthésie généralisée due à une angoisse particulière qui défait la moindre prise de responsabilité qui ne serait en fait que la prise en charge élémentaire d'une mission pour laquelle on est payé. Tous les arguments à portée sont invoqués avec une mauvaise foi criarde voilant à peine la hantise de la prison et incitant presque à croire que tout le monde a quelque incartade à se reprocher. La crainte d'assumer des procédures les plus légales et conformes à la loi laissent les opérateurs, publics et privés confondus, dans une expectative criarde quand ils ne sont pas renvoyés à la recherche d'un saint à qui se vouer.

Pourtant, il ne s'agit nullement d'un étouffement général dû à un manque de moyens ou d'argent et nombreuses sont les entreprises poussées à mettre la clé sous le paillasson car cette pesante atmosphère a créé une énorme suspicion. Se préoccuper du marché du travail devient un juron. Vouloir investir serait un blasphème pour ceux qui ont encore gardé saine leur raison. Les bas de laine et les dessous des lits renouent avec leur superbe d'antan.

L'évidence de l'immense contradiction entre l'esprit du Hirak et la chape de plomb qui étrangle l'économie est aveuglante. Car il est fort à parier que ceux qui marchent tous les vendredis sont ceux-là mêmes tapis derrière les guichets et les bureaux. Malmener un vieux retraité venu percevoir son dû ou faire le bègue face à des employeurs et à des opérateurs économiques armés d'une honnêteté sans faille est aux antipodes de la culture patriotique réclamée tous les vendredis.

Rendre siens les impératifs exigés par la rue et se conforter par un attentisme généralisé rendrait le Hirak inopérant.