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Football, l'autre patate chaude

par Mahdi Boukhalfa

Voilà, on en est arrivé à ce que le football, ce sport qui déchaîne autant les passions que les frustrations sociales, fasse une étrange intrusion dans la vie politique du pays. A un moment où tous les regards sont braqués sur une actualité nationale morose marquée par les hausses de prix, par des grèves à répétition, des décisions et contre-décisions du gouvernement en particulier dans les secteurs du Commerce, de l'Education nationale, des Finances avec cet étrange feu vert aux banques pour accepter de gros dépôts, le tout enrobé d'un profond malaise social.

Et, comme la crise de gouvernance est totale et touche tous les secteurs dans notre pays, elle ne pouvait ne pas toucher, fatalement, le sport, jusque-là épargné des fractures sociales cycliques. Comme pour le démontrer, la FAF a envoyé une patate chaude au gouvernement et s'est encombrée inutilement d'un gros souci: celui de provoquer la colère de toute une région dans ce qui était au départ une simple domiciliation d'un match comptant pour les éliminatoires de la Coupe d'Algérie. Et, dans ce cas précis, toutes les instances du sport national ont offert à l'opinion publique une image déprimante des modes de gestion des compétitions nationales. Jusqu'à ranimer de vieux démons.

Qu'une crise politique soit alimentée par cet autre avatar du sport national, l'incapacité d'une commission de la FAF à domicilier un match de Coupe d'Algérie, et qui est allée au fond de la disgrâce en allant compter le nombre de places que peut contenir un stade comme celui de Tizi Ouzou, est une première dans les annales du football dans notre pays et dans le monde. Ce triste épisode du sport en Algérie, où la plus haute instance nationale gérant le football a été réduite à reporter un match comme les autres, car n'ayant pu imposer sa décision, est symptomatique des graves dérapages qui ternissent autant l'image du pays vis-à-vis des instances sportives internationales que par rapport à cet extrême délitement de l'autorité de toutes les instances et institutions de la République.

Qu'un parti d'opposition fasse ses ?'choux gras'' de cette polémique absolument ridicule et politiquement ruineuse pour le gouvernement, qui est à mettre sur le compte d'une gestion catastrophique des compétitions sportives, est de bonne guerre. Le RCD y voit ainsi une ?'tentative de déstabilisation sans précédent'' à laquelle fait face ?'la JSK, symbole de la lutte identitaire et du combat de toute la région de Kabylie''. Les députés RCD signataires d'un document de protestation contre une simple domiciliation d'un match de football, elle-même le résultat d'un lamentable manque de souplesse et d'appréciation de cet événement par la Commission d'organisation de la Coupe d'Algérie, sont allés jusqu'à soupçonner une tentative de ?'déstabilisation de toute une région''.

La réaction de militants du RCD de Tizi Ouzou, même si elle est empreinte d'un chauvinisme sportif banal, ne peut ne pas alerter sur l'extrême précarité de la situation sociale et politique dans le pays, sur les frustrations et les privations dans les territoires les plus reculés du pays. Le danger aujourd'hui est que les valses-hésitations et les décisions inappropriées, comme le licenciement d'enseignants puis leur réintégration, ou laisser une grève aller au-delà de ce qui est admis, ont gagné, après le gouvernement, des territoires de gouvernance qu'on pensait naïvement à l'abri de ce genre de dérapages. Que le sport soit atteint par un défaut flagrant de bonne gouvernance, qu'il fasse l'objet d'affreux marchandages politiques est tout simplement inquiétant. Et que le niveau de la gestion du sport-roi dans le pays n'a jamais été aussi archaïque.

C'est dire combien des réformes urgentes et profondes doivent être mises en place en urgence pour revoir le fonctionnement du football en particulier et le sport en général qui peut nous valoir bien des crises multidimensionnelles, bien des fractures violentes nées de frustrations et d'injustices sociales et culturelles. A ce niveau-là, le sport, détourné de sa vocation, peut devenir également une puissante arme politique.