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Le ciment de l'avenir

par Abdelkrim Zerzouri

Peut-on considérer qu'il ne reste plus aucun «fonds de commerce» identitaire ou religieux à exploiter par les opportunistes politiciens ? Adoptant une approche à petits pas depuis de longues années, avec une cadence plus franche et accélérée depuis l'intronisation de Bouteflika à la présidence, les autorités algériennes ont vraisemblablement définitivement retiré le tapis sous les pieds de tous les partis en activité légale et autres groupes «durs» qui exercent dans la clandestinité sous le couvert de la défense des droits identitaires ou religieux.

Même si on ne peut jamais clore définitivement ces registres, la partie est bien jouée sur le plan officiel. Cela a été assez rapide mais pas sans douleur de donner une couleur de neutralité au «fonds de commerce» religieux, notamment à travers la sentence de l'annulation du parti Front islamique du salut à la suite du détournement de ce courant politique vers la violence. C'était le cas alibi d'un chef de file de l'islamisme politique qui exploitait ouvertement la religion à des fins politiques, prônant également sans discrétion aucune la création d'un Etat islamique, pour interdire officiellement l'exploitation religieuse à des fins politiques. Automatiquement, cela a débordé sur d'autres partis qui exploitaient également la question identitaire amazighe à des fins politiques et qui ont été «recadrés» dans leur activité, ainsi que d'autres partis de tendance islamique.

On a exigé dans la foulée qu'on fasse de même avec ceux qui surfaient sur les fibres «historico-nationalistes», mais ces derniers n'ont pas été inquiétés outre mesure. C'était le temps des tumultueuses années 90. Si pour l'islam la dimension a trouvé aisément sa place dans les différentes Constitutions qu'a connues le pays, sur le plan de la revendication identitaire berbériste, amazighe, l'avancement dans sa reconnaissance officielle en tant que pilier de l'identité algérienne attendra jusqu'en 2016, lors de l'avènement du dernier amendement de la Constitution. Mais, il restait encore des brèches exploitées par certains. Et il fallait bien mener une offensive sur ce plan pour faire taire toutes les voix qui appellent, pas seulement à recouvrer un droit, mais carrément à la division.

Ainsi arrive la reconnaissance du nouvel an amazigh, célébré officiellement pour la première fois, le 12 janvier 2018, avec faste à travers tout le pays. Et avec sont venus les premiers balbutiements officiels en langue amazighe à travers un premier communiqué du ministère de l'Intérieur rédigé en langue amazighe et des prêches autorisés par le ministère des Affaires religieuses dans les mosquées dans la même langue, ainsi que d'autres petits soins pour promouvoir cette langue sur le plan académique.

Notons que le débat est loin d'être clos autour de ce volet académique, notamment la question de l'écriture en arabe ou latin des lettres amazighes. C'est un acquis de très grande importance, faut-il le reconnaître et le souligner, mais il y a certains aspects qu'on ne pourra jamais apprivoiser à travers un trait de signature, aussi constitutionnel soit-il, lorsqu'il s'agit de sentiments proprement réduits à l'individu. Seules la liberté, la démocratie et la condition de l'acceptation de l'autre avec ses différences peuvent constituer le ciment qui bâtira notre avenir.