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Une diversion de trop

par K. Selim

Saïd Sadi ne pouvait espérer mieux pour faire son retour sur la scène médiatique que cette étonnante décision du parquet de s'autosaisir pour lancer une information judiciaire contre lui pour diffamation. Cette décision est politique. Un ancien juge a estimé, dans une déclaration à El Khabar, que la décision d'ouvrir une information judicaire n'est venue ni du parquet, ni même du ministère de la Justice mais de la présidence de la République.

Les juristes sont très largement réservés sur cette auto-saisine même si certains trouvent que les «formes» sont respectées. Sur le «fond», même Farouk Ksentini, président de la commission officielle sur les droits de l'homme, ne voit pas comment les juges vont trancher sur des questions relevant de l'histoire et donc susceptibles de générer les opinions les plus contradictoires. C'est d'autant plus désolant que les jugements, abrupts et tranchés, exprimés par Saïd Sadi font plus ou moins partie intégrante du «patrimoine» du parti unique. Cette facilité à dégainer les termes de «traitre» ou «d'agent de l'étranger» fait partie des réflexes pavloviens des détenteurs du pouvoir qui se veulent aussi les seuls détenteurs de la vérité historique.

Ce qu'a dit Saïd Sadi, des personnalités faisant partie du système l'ont exprimé avec des variantes. Un fond commun existe entre les gens du pouvoir et Saïd Sadi : ils ne cherchent pas l'établissement de la vérité historique. Ils font une lecture politique et souvent politicienne de l'histoire. Elle n'est pas invoquée pour diffuser du savoir mais pour orchestrer des manœuvres, discréditer les adversaires présumés. Les termes, blessants, utilisés par Saïd Sadi pour parler de Messali Hadj ont été dits, avant lui, par des hommes du régime. Sadi pour meubler sa fausse retraite s'amuse avec l'histoire, sans innover. Il le fait en reproducteur de la «culture» et des clichés sur l'histoire diffusés après l'indépendance.

Les bons historiens, contre l'establishment politique qui a «aimé» l'histoire au point de l'étouffer et la dévitaliser, font dans l'humilité. Ils cherchent, se documentent, confrontent les versions, ils ne parlent pas pour ne rien dire. On ne trouve pas chez eux ces tics chers au parti unique et à ses produits dérivés «modernistes» comme la «trahison» ou «l'agent de l'étranger». Sadi n'est pas un historien, c'est un politicien. Il n'écrit pas l'histoire, il fait de la politique. Nul ne l'ignore et les choses auraient dû en rester là. Il ne convaincra que ceux qui sont déjà convaincus.

Ceux qui ont décidé de créer une «affaire Sadi» en diligentant l'action publique font également de la politique. Pas celle qui construit, mais celle de la diversion et qui est en train de prendre un vilain relent régionaliste. Beaucoup d'Algériens sont agacés que l'on continue cinquante ans après l'indépendance à faire de l'histoire commune une source de clivage politicien, un motif de division. Il est temps de laisser les historiens faire leur travail sereinement. Le débat politique nécessaire porte sur le présent, pas sur l'histoire. L'affaire Sadi est une diversion de trop.