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Leçons de Tunisie

par Yazid Alilat

La petite Tunisie, avec un peu moins de 11 millions d'habitants et un taux de pauvreté officiel de 15%, a donné dimanche, à sa manière, une leçon de démocratie et confirmé que la révolution de Jasmin commence à porter ses fruits, quatre années après le renversement du régime honni de Ben Ali. Les élections législatives tenues dimanche ont en fait confirmé que la Tunisie reste un pays farouchement accroché à la démocratie, au pluralisme politique et à la recherche d'une voie qui concentre les objectifs allant dans le sens d'une société moderne, affranchie et libre.

Contrairement aux appréhensions et aux craintes d'un scrutin qui serait faussé autant par la fraude que par les attaques terroristes, les Tunisiens ont voté dans le calme et une grande concentration sur un événement historique: des élections libres où courants islamiste, gauchiste et même les anciens caciques au pouvoir ont pu voter dans une cohabitation qui en dit long sur la maturité politique des Tunisiens. Mieux, le parti islamiste Ennahda, qui avait remporté les élections pour la Constituante et gouverné le pays depuis 2011, a joué le jeu et collaboré à l'assainissement du climat politique, après la brouille de l'été 2013, pour que ces élections se déroulent dans le calme pour désigner un gouvernement qui aura la lourde charge de mener le pays vers l'élection présidentielle de novembre prochain.

La leçon de démocratie offerte par les Tunisiens au monde entier est d'abord que la révolution de Jasmin est entre de bonnes mains, ensuite que le cri de détresse de Mohamed Bouazizi, qui s'est immolé pour protester contre la hogra et dont la colère a sonné le tocsin pour le règne de Ben Ali et la fin des dictatures dans le monde arabe, est que c'est l'unique pays traversé par le Printemps arabe qui a réussi à survivre au chaos promis par la chute du régime d'alors. Mieux, non seulement les partis politiques tunisiens ont su gérer au mieux leurs différences, autant politiques qu'idéologiques, ils ont réussi à porter leur révolution non pas comme un fardeau mais comme un cadeau qui leur ouvre la voie à un mode de gouvernance meilleur, plus humain et plus près des besoins du peuple.

Un moment présenté comme un épouvantail, le parti islamiste d'Ennahda, tout comme Nidaa Tounès, constitué d'anciens caciques du régime Ben Ali mais également de ?'révolutionnaires'' du Printemps arabe, et les autres formations de gauche, nombreuses et éparpillées sur l'échiquier politique local, ont donné lors de cette consultation une belle image de cohésion et d'objectifs communs, au-delà de leurs différences: prémunir la Tunisie du chaos et lui donner l'envergure d'un pays qui veut porter aux nues sa révolution. Bel exemple de cohésion politique à comparer avec le chaos libyen, ou syrien et irakien. Même avec un taux de pauvreté de plus de 15,5%, un départ massif des investisseurs au lendemain de la révolution de 2011 et un faible taux de croissance de 2,1% au 1er trimestre 2014, les Tunisiens sont restés dignes et ont voté pour consolider leur révolution.

Bien sûr, le taux de participation a été, comme prévu par les analystes, moindre avec seulement 61,8% (chiffre provisoire) de votants sur un total de 5,3 millions d'électeurs inscrits. Mais, en lui-même, le taux de participation donne une image grandeur nature de ce bel élan des Tunisiens pour aller désigner leurs (217) représentants à la prochaine assemblée parlementaire. Ces législatives, dont les thèmes étaient ?'sécurité et économie'', ont donc confirmé une fois de plus qu'en Tunisie il y a, en plus d'une grande maturité politique, qui d'ailleurs a fait la réputation des partis d'opposition tunisiens, une indicible soif du peuple de sortir définitivement de l'immobilisme post-Ben Ali et de passer au plus vite vers une autre étape. Celle de la consolidation des institutions et de l'économie du pays, la lutte contre la pauvreté et le chômage, points de départ de la révolution de Jasmin.