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A-t-on le droit de brûler le Paradis ?

par El-Houari Dilmi

Dans leur sommeil du juste, aussi bien cheikh Brahim Bayoud que les poètes émérites, les regrettés Ramadane Hammoud et Salah Kherfi, tous des enfants prodiges de la majestueuse vallée du M'zab, doivent crier : «Ne brûlez pas le Paradis SVP !». Les rebondissements récurrents au-devant de l'actualité des événements douloureux de Ghardaïa ressemblent à cette comptabilité macabre des morts sur nos routes, étalée quotidiennement à longueur de colonnes de journaux. Même si les Algériens gardent le regard rivé sur des événements autrement plus tragiques, à plusieurs milliers de kilomètres de chez eux, la situation n'en demeure pas moins préoccupante à 500 kilomètres d'Alger.

En dépit du «forcing» du gouvernement et de tout l'appareil sécuritaire du pays, pour en finir avec cet abcès de fixation qu'est devenue Ghardaïa, les risques d'un nouveau «départ de feu» ne sont pas une vue de l'esprit, loin s'en faut. Parce qu'il y a eu mort d'homme et un immense gâchis matériel dans cette partie historiquement paisible du pays, la tension reste vive, marquée par un traumatisme de toute une population. Si d'aucuns pointent du doigt l'inanité du gouvernement à faire réconcilier les frères ennemis à Ghardaïa, les véritables causes de ces affrontements intercommunautaires restent encore à cerner avec la froideur d'esprit qu'il faut, loin des raisonnements jusqu'au-boutistes des uns et des autres. Même si les malékites comme les Mozabites continuent de crier leur colère à la face du pouvoir, la question lancinante est celle de savoir comment à partir de ce qui devait être contenu dans la proportion raisonnable d'un simple «fait divers», la situation a-t-elle dégénéré au point de susciter une grande inquiétude chez le commun des Algériens ?

L'exacerbation des tensions, fragilisée par une approche sécuritaire incompatible avec la réalité sociologique et historico-culturelle de la région, est une vraie menace pour la sécurité nationale, surtout si les efforts d'apaisement des uns et des autres se dispersent dans la recherche des pyromanes au lieu d'éteindre au plus vite l'incendie qui risque d'embraser toute la région. A tout moment, la situation pourrait déborder, surtout dans un contexte géopolitique régional qui fait une sorte d'appel d'air à des ingérences étrangères. Les Ghardaouis, au-delà de leurs différences ethniques, culturelles ou même cultuelles, en appellent l'Etat à assumer sa responsabilité de la sécurité des personnes et des biens. Le ministre de l'Intérieur, Tayeb Belaïz, a annoncé un plan bien ficelé pour solutionner la crise à Ghardaïa qui continue de susciter de grands espoirs, mais son application effective sur le terrain cahoteux de la réalité ne se fait pas encore sentir. Du moins jusqu'à l'heure actuelle.

Meurtris par huit mois de souffrances, et à l'orée de la rentrée scolaire et sociale, les citoyens de Ghardaïa ne demandent pas la lune : ils veulent juste vivre en paix, comme tous leurs concitoyens du reste du pays, et reprendre goût à une activité économique et sociale normale dans une région du pays qui ne peut pas faire «l'exception» à une règle d'or : les Algériens sont égaux en droits mais surtout en devoirs à remplir vis-à-vis d'un pays qui résiste bien jusque-là aux pays «exportateurs net de déstabilisation». Parce que ceux en charge de la gestion de la destinée nationale doivent comprendre que la paix se construit. Elle ne peut malheureusement pas se décréter !