La décision de lancer les procédures en direction des
entreprises étrangères pour engager les prospections en gaz de schiste ne
constitue pas une surprise. Dans un pays où les dirigeants sont dans la culture
du fossile, la perspective du remplacement d'une production en déclin est
perçue comme une aubaine à ne pas rater. Le seul «ennui» pour eux est que les
débats vigoureux sur le gaz de schiste en Europe questionnent ouvertement ce
choix. Les Algériens ne vivant pas en autarcie, ils sont nombreux à suivre et à
participer à ces débats. Ils savent désormais ce qu'est la fracturation
hydraulique, ses risques ; ils connaissent aussi les choix de nombreux
gouvernements européens de faire valoir le principe de prudence.
Ces débats ont été utilement relayés en Algérie par
la presse mais aussi par des militants anti-schiste qui s'inquiètent de voir
des entreprises occidentales, interdites de «fracturation» dans leur pays,
venir se faire les dents en Algérie. Dans un pays où le Conseil national de
l'energie ne s'est pas réuni depuis la présidence de Liamine Zeroual - une
aberration institutionnelle de plus -, ces débats venus de l'extérieur ont été
salutaires. Ils ont poussé non seulement des experts algériens à se prononcer,
avec souvent des avis divergents, mais ont suscité un intérêt au sein de
l'opinion. En novembre 2012, Abdelmalek Sellal s'est voulu rassurant en
indiquant que l'exploitation du gaz de schiste n'était envisageable que sur une
perspective de long terme pouvant aller jusqu'en 2040. Cette perspective longue
laissait entendre qu'on se donnait le temps de voir évoluer les techniques
d'exploitation - très agressives pour l'environnement actuellement - et aussi
d'avoir une vraie idée sur la viabilité économique de l'option. Mais en 2012,
des analystes notaient déjà que la parole d'un Premier ministre n'avait pas
valeur d'engagement sur une aussi longue période. A peine un mois plus tard, on
en a eu la confirmation dans une «confidence» de Laurent Fabius à l'hebdomadaire
Le Point sur un accord «permettant des recherches françaises sur le territoire
algérien dans le domaine de l'exploitation des gaz de schiste». Le long terme
n'était non seulement pas de mise, mais l'inquiétude de voir l'Algérie servir
de laboratoire prenait corps. Le Point avait assorti son scoop d'une méchante
pique, énonçant clairement que les autorités algériennes n'avaient pas de
soucis à se faire : «les Algériens, eux, ne risquent pas de râler». En réalité,
les Algériens peuvent râler, cela n'a pas d'incidence. Sur le gaz de schiste,
comme sur d'autres thèmes, comme la Constitution par exemple, les débats ne
servent au mieux qu'à emballer des décisions déjà prises. L'annonce faite en
Conseil des ministres confirme que l'on n'est pas dans le «long terme» mais
dans l'immédiat. On a décidé de faire l'économie d'un débat pourtant
nécessaire. Rien ne prouve encore que le gaz de schiste soit une alternative
sérieuse. Un tel choix maintient de facto le renouvelable dans le statut de
parent pauvre. Le débat mondial sur le gaz de schiste fait ressortir une vérité
: jusqu'à présent la seule technique d'exploitation est celle de la très
redoutée fracturation hydraulique, grande consommatrice d'eau et aux risques
environnementaux élevés. Sans compter les très sérieuses questions de la
viabilité économique et financière de l'option. Il y a bien matière à
discussion, à éviter l'empressement et à se mettre en «mode veille», comme le
suggérait un ancien patron de Sonatrach. Ce n'est pas à l'ordre du jour. Le
ministre de l'Energie a annoncé il y a quelques semaines que la facture
énergétique de l'Algérie avait atteint 40 milliards de dinars en 2013. Certains
ont cru que l'on allait ouvrir le débat sur la manière affolante dont on
gaspille la rente pétro-gazière, mais on s'est empressé officiellement de dire
qu'il n'est pas question de toucher au prix de l'électricité et des carburants.
Aujourd'hui, on comprend : ces chiffres n'étaient pas destinés à engager un
vrai débat sur la rente, mais à justifier la course vers le gaz de schiste.