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Disproportion

par M. Saadoune

L'Algérie a décidé de ne pas faire dans l'escalade après la décision, infantile à tout point de vue, du Palais royal marocain de rappeler l'ambassadeur marocain à Alger. La réciprocité était, en effet, tentante de rappeler l'ambassadeur algérien à Rabat pour se mettre au même niveau. Sauf qu'il ne faut pas se mettre à ce niveau et garder la tête froide.

La manifestation de mauvaise humeur marocaine est grossière et elle était annoncée depuis plusieurs semaines. Par le roi en personne. Outre les réponses réfrigérantes d'Alger au sujet de la réouverture des frontières, la diplomatie marocaine, malgré ses amis occidentaux, a de la peine à entraver l'action des ONG en faveur d'une action énergique de l'Onu en matière de respect des droits de l'homme au Sahara Occidental. Le Maroc a vécu comme une grave défaite la proposition américaine de demander à la Minurso de s'occuper de la surveillance des droits de l'homme. Certes, la proposition n'a pas été suivie d'effet, les Etats-Unis ayant renoncé à présenter le projet mais la question reste pendante. Cette nouvelle « crise » entre Alger et Rabat a été clairement annoncée par le roi du Maroc en personne. Les propos provocateurs du dirigeant de l'Istiqlal appelant à envahir Tindouf ont eu un effet médiatique certain mais sans prolongement politique. L'Algérie a officiellement dénoncé ces propos sans accompagner cela d'une quelconque mesure. Et pourtant, le chef de l'Istiqlal était non seulement membre du gouvernement, mais il est également un des hommes du roi. Il y avait là tous les ingrédients pour une crise, elle n'a pas eu lieu et c'est tant mieux. Mais les observateurs s'attendaient depuis le discours royal du 10 octobre dernier appelant à une attitude « offensive » contre l'Algérie à ce que le Maroc fasse la relance. Le prétexte du discours d'Abuja est grossier, mais à l'évidence on ne se soucie pas d'arguments dans le cas d'espèce. On a décidé de créer la crise et l'état des relations entre l'Algérie et le Maroc permet, de part et d'autre, de trouver tous les prétextes pour cela.

Il est donc heureux que le gouvernement algérien ne suive pas Rabat dans son escalade qui est aussi puérile que contre-productive. Et pourtant, il est difficile de ne pas rappeler au Maroc que certaines décisions prises à chaud ou fondées sur des calculs sophistiqués se sont retournées contre lui. La plus lourde de conséquences a été la décision prise en 1994, dans la foulée d'un attentat imputé à tort aux services algériens, d'instaurer le visa. Le tout accompagné de mauvais traitements infligés aux Algériens qui se trouvaient à ce moment-là au Maroc. Cette « grande » décision prise par le roi Hassan II sur les conseils de Driss Basri a reçu une réplique de réciprocité de l'Algérie. Avec un surenchérissement radical de fermeture de ses frontières.

Plus tard, les Marocains ont parlé de riposte disproportionnée. C'est juste, la riposte était disproportionnée mais elle était l'expression d'une situation simple : l'Algérie pouvait grâce à son pétrole se passer du Maroc, l'inverse n'était pas vrai. Aujourd'hui, on peut dire que le rappel de l'ambassadeur du Maroc à Alger est une mesure disproportionnée. La sagesse aurait commandé de ne pas entamer l'escalade car, au fond, ni le Maroc ni l'Algérie n'y gagnent.