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LE PRINTEMPS SOUS PROBATION

par M. Saadoune

La tyrannie des foules. Les mots, emportés, de Mme Hillary Clinton sonnent étrangement. Comme une sorte de dépit amoureux à l'égard de ce «printemps arabe» qui décidément a tendance, parfois, à déborder du cadre qui lui est fixé. Il y a dans nos sociétés, déstructurées et souvent infantilisées, des possibilités de dérapages qui peuvent être aisément instrumentalisés.

Les foules, les Etats-Unis s'en servent aussi, il est vrai que l'esthétique des révolutions colorées est plus plastique que les brûleurs de drapeaux et de bâtiments. Mais le propos d'Hillary Clinton exprime aussi un malentendu. Les foules qui ont fait dégager Ben Ali ou Moubarak ne sont pas homogènes, elles ne sont pas animées nécessairement par les mêmes motivations, ni par les mêmes objectifs. Pour certains, le départ des dirigeants en place est suffisant et il suffit de faire une redistribution du pouvoir. Pour d'autres, il y a une injustice sociale à réparer et que les nouveaux dirigeants, le plus souvent islamistes défendant la libéralisation économique, ne sont pas en mesure de satisfaire. Et on peut affiner encore davantage sur les différentes forces sociales et leurs attentes contradictoires.

Il y a donc nécessairement une instabilité dans ces pays en «transition» même si les Frères musulmans, soudainement devenus acceptables aux yeux des Occidentaux, y obtiennent des majorités électorales relatives. Qu'on rassure donc les officiels américains. On est profondément outré, choqué et indigné par les réactions violentes qui ont eu lieu dans le monde musulman après la provocation du film l'Innocence des musulmans. Ces foules sont guidées par l'aveuglement et, disons-le, par la stupidité. Mais il faut savoir raison garder. Ces foules aussi nombreuses fussent-elles ne représentent pas grand-chose par rapport aux centaines de millions de musulmans qui n'ont pas manifesté, qui n'ont rien cassé. Et qui, même s'ils ont été blessés par le film, n'ont pas cherché à se venger sur le premier Occidental venu. Le monde musulman n'est pas réductible à la foule de ceux qui s'exprimaient de manière violente et insupportable.

Le reproche qui transparaît, étrangement, dans le propos de Mme Hillary Clinton ne peut s'adresser à l'ensemble des musulmans qui d'ailleurs n'ont rien à attendre d'elle. Et pour cause, ils se sont fait sur des décennies une idée solide de la politique américaine dans le monde arabe et singulièrement contre les Palestiniens. Il s'adresse donc nécessairement aux «nouveaux pouvoirs» qui ont émergé des élections organisées après la chute des «anciens amis». Pour l'Egyptien Mohamed Morsi et à un degré moindre pour les pouvoirs en place en Tunisie et en Libye, cela sonne comme un avertissement. Ils doivent faire le «job». Ce boulot ne se limite pas à la nécessité, rappelée par le Conseil de sécurité, d'assurer la sécurité des représentations diplomatiques en conformité avec les obligations internationales. C'est un job politique par excellence.

S'ILS ONT ETE CATALOGUES «ISLAMISTES MODERES» APRES DES ANNEES D'ETIQUETAGE «EXTREMISTE», C'EST BIEN POUR ASSURER UN ROLE DE STABILISATION SANS ESSAYER DE BOULEVERSER LA DONNE GEOPOLITIQUE. ET CE JOB DE STABILISATION DOIT ETRE ASSURE Y COMPRIS PAR LE RECOURS A LA REPRESSION. C'EST CELA LE MESSAGE. LES JOURS QUI VIENNENT SERONT DURS, A INDIQUE MME CLINTON. ILS SERONT AUSSI DURS POUR LES REGIMES «NOUVEAUX» QUI VIENNENT D'ETRE MIS SOUS PROBATION. ILS NE SONT NI NOS ENNEMIS NI NOS AMIS, A DIT LE PRESIDENT BARACK OBAMA. IL NE S'AGIT PAS D'UN SIMPLE CONSTAT. C'EST UNE SOMMATION DE FAIRE UN CHOIX.