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UN DIAGNOSTIC ERRONE SUR «L'ECHEC DES PARTIS»

par M. Saadoune

Seuls ceux qui le feignent peuvent être surpris du peu d'engouement populaire pour les élections législatives. Il était en effet impossible d'escompter un miracle après des années de faux-semblants imposés par le régime. Des années où les partis politiques n'étaient, au mieux, qu'un ornement de devanture pour donner le change à l'extérieur. L'opinion publique algérienne n'ayant jamais été un souci des gouvernants, on se moquait du fait que le jeu de rôle imposé aux partis - ou qu'ils acceptaient sans discuter - ne faisait que les discréditer.

Le système algérien ne compte pas sur les partis pour la médiation, il fonctionne sur d'autres ressorts qui n'en finissent pas de s'émousser. L'Algérie est un pays sans notables, hormis, peut-être, les présidents de clubs de football. Les militants politiques d'aujourd'hui se battent dans des conditions encore plus dégradées que dans les années 70. L'abstention est la conséquence d'une dépolitisation voulue et désirée. L'intérêt pour la chose publique - même dans une démocratie, cela demande un effort de s'occuper du bien commun au lieu de se limiter aux affaires personnelles - avait peu de chance de croître ou de résister aux simulacres. Ceux qui persistaient à s'intéresser à ce que fait le gouvernement et faisaient l'effort d'essayer de comprendre sont presque des miraculés de l'entreprise systématique - et amplement réussie - de déconsidération de la politique.

Aujourd'hui, il n'est pas difficile d'opposer la «patate» à l'urne et le souk, bien flambant, aux partis politiques. La partie est aisée. Le terrain a été bien balisé. Et ce ne sont pas les agréments par brassées de nouveaux partis politiques qui allaient créer de l'intérêt. Au contraire, ces agréments ont eu un effet, très prévisible, d'accentuer la répulsion à l'égard de la politique. Au fond, n'est-ce pas l'effet recherché ? Il ne faut vraiment pas faire un grand effort pour constater que le champ politique, passé par un hyper-contrôle débilitant, est ruiné. Et que les progrès réalisés par les militants politiques de divers horizons dans les années 70-80 ont été laminés dans les vingt dernières années. Là, également, l'accumulation a été interrompue, l'évolution normale ayant été contrariée, la déperdition est gigantesque. Couplé à un départ physique d'une bonne partie de l'élite instruite, cela donne un appauvrissement dans tous les sens du terme pour le pays. Avec une société sans repères aspirée par une bigoterie entretenue car présumée apolitique.

Ce constat de la régression politique sous régime autoritaire n'est pas contestable. Le plus incompréhensible est d'entendre des intellectuels présumés occulter toute cette situation pour venir proclamer sans autre forme de procès «l'échec des partis» ! C'est une assertion qui va dans le «sens commun» mais qui n'a aucun sens quand elle vient de prétendus analystes. Les partis ont-ils vraiment existé pour qu'on vienne décréter leur échec en appelant à des solutions autoritaires, par le «haut» ? Or, qu'a connu l'Algérie depuis cinquante ans si ce n'est l'imposition de solutions «par le haut» avec pour corolaire une caporalisation du champ politique qui rejette de fait le multipartisme et le pluralisme. Après cinquante ans d'autoritarisme, il est pour le moins consternant d'entendre des «analystes» suggérer qu'il faut une autre cure d'autoritarisme. Les partis ont des problèmes sérieux: ils doivent gagner leur autonomie et convaincre les Algériens que la politique c'est sérieux. Mais les partis politiques ne sont pas le problème. Même l'inflation de sigles est soluble - c'est le cas de le dire - dans une démocratie sérieuse avec un champ politique sérieux. Il ne faut pas se tromper de diagnostic.