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LA GRANDE EPREUVE

par M. Saadoune

Il est difficile, même pour des «modernistes» arabes de France habitués à apporter leur contribution ? signe de «distinction», croient-ils - à la stigmatisation ordinaire des «pas-vraiment-français», de ne pas constater que M. Claude Guéant ne faisait pas de la philosophie sur la grandeur des civilisations mais s'attaquait ouvertement aux musulmans et aux Arabes.

 Pourtant, dans ce dérapage délibéré vers l'obscur et le glauque, les élites beurs et blacks de France restent silencieuses. Il est pourtant clair que cette période de haine électoraliste est rude pour les arabo-blacks supposés musulmans de France, quelles que soient leurs croyances. C'est une «mehna», pour reprendre un mot arabe très expressif.

Certes, ils peuvent se sentir dignement représentés par le député martiniquais Serge Letchimy, qui a secoué le landerneau politique en dénonçant avec une vigueur réellement républicaine la confusion délibérée faite par le ministre français de l'Intérieur entre «civilisation et régime politique». Et surtout, ce député, héritier politique d'Aimé Césaire, est sorti des convenances qui consistent à banaliser l'atroce, en soulignant que cette affirmation suprématiste était un retour à des «idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration au bout du long chapelet esclavagiste et colonial». «Le régime nazi, si soucieux de purification, était-ce une civilisation ? La barbarie de l'esclavage et de la colonisation, était-ce une mission civilisatrice ?». Le député martiniquais a cassé la baraque de la connivence. Il gêne même chez les socialistes, à qui il est apparenté, qui trouvent qu'il est allé «trop loin».

L'establishment médiatique n'est pas en reste. Le préposé au JT de France 2 a pratiquement sommé François Hollande, le candidat socialiste, de se désolidariser de M. Letchimy? Sur France 3, un obscur écrivaillon, qui se glorifie d'avoir fait la guerre au côté des phalangistes contre les musulmans au Liban, a déclaré dans l'émission «Ce soir ou jamais» qu'il en avait marre d'être le «seul blanc» dans le RER Châtelet-Les Halles et qu'il ne «supporte pas les mosquées en France». Le propos est passé comme une lettre à la poste et n'a suscité aucune réaction indignée. On ne sait pas quel savoir particulier avait cet idiot pour mériter d'être invité à ce genre d'émission. A l'évidence, il n'a été invité que parce que sa détestation des musulmans était ouverte et franche.

Ces individus présents à l'émission, qui souriaient benoîtement, auraient - et à bon droit - réagi avec effroi si un crétin raciste avait déclaré qu'il «ne supporte par les synagogues en France».

A l'évidence, en France, seules les communautés organisées peuvent éviter d'être une cible permanente des cuisines électoralistes puantes. La communauté musulmane en France n'a pas d'existence organisationnelle. Et ce n'est ni le CFCM, ni la Mosquée de Paris qui peut prétendre à ce rôle. Mais cette communauté non organisée et dispersée a une «existence» négative dans le discours politico-idéologique de l'establishment politique en France. On la convoque en permanence durant les périodes de haines électorales et durant les crises. A côté du député martiniquais, dans cette «mehna» des arabo-blacks de France qui risque de devenir plus dure, seuls les indigènes de la République tentent, avec les faibles moyens du bord, de relever le gant. L'absence d'engagement politique des élites blacks-beurs, qu'elles soient musulmanes ou non, croyantes ou non, les prédispose à être durablement la cible de politiciens qui ne reculent devant aucun cynisme.

Quand les blacks-beurs s'organiseront et deviendront une force électorale, ces politiciens cesseront de dire n'importe quoi. Pour l'heure, ils ont le champ libre et la mehna se poursuit.