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L'AIGUILLON TUNISIEN

par K. Selim

Ben Ali proteste contre la saisie de ses biens par une Tunisie libérée de lui et de son clan et il compte saisir le Comité des droits de l'homme à Genève ! Pour le premier anniversaire de sa fuite sans gloire, l'ex-dictateur s'est livré, via son avocat, à un exercice d'humour sordide. Les Tunisiens y survivront. Et hormis les profiteurs du système, les Tunisiens se portent mieux sans lui, sans son régime «spécifique», sans sa laïcité instrumentale de pacotille et sans sa prédation sans limites qui s'est exprimée dans le fameux «ce qui est à toi est à moi !».

Bien sûr, la Tunisie se découvre, un an après avoir fait dégager le dictateur si apprécié des Occidentaux, qu'elle fait face, selon la formule non exagérée de Moncef Marzouki, à un «tsunami de problèmes». Mais elle ne regrette pas la dictature. Elle a pris goût à la liberté. Et c'est cette liberté arrachée de haute lutte qui fait libérer le «tsunami» des problèmes. Dans un pays libre où le droit de s'exprimer et de manifester est reconnu, les problèmes ne peuvent être mis sous le tapis à coup de gourdins, de matraques et d'emprisonnements.

Ceux qui se retrouvent aux commandes ? peu importe leur couleur politique ? doivent faire preuve d'une sagesse et d'une lucidité peu communes pour gérer le flux des problèmes et convaincre tout un peuple, qui fait dans le rattrapage en termes d'expression et de revendication, qu'il faut agencer les priorités. Que le chef du gouvernement soit islamiste ne change pas la donne. Il y a des réalités lourdes qui s'imposent. Et ce chef du gouvernement ne cherche pas à dire «tant pis» si les touristes ne viennent pas ; il veut qu'ils viennent.

Les Tunisiens ont-ils, plus que les autres et singulièrement nous les Algériens, la chance de disposer d'un gène de la sagesse ? Evidemment non, même si certains semblent le mettre en évidence pour assurer que ce qui est possible en Tunisie ne l'est pas ailleurs? Si la Tunisie a organisé des élections pour la Constituante avec une avancée des islamistes sans qu'elle bascule dans le désordre, cela tient au fait que ses élites ont globalement saisi que l'enjeu est bien de changer de système et de basculer vers un régime démocratique. Un blocage du processus ne sert que les tenants de l'ancien régime.

Mais la sagesse des Tunisiens tient aussi au fait qu'elle s'est «structurée» dans un consensus fondé sur une distribution équilibrée du pouvoir qui permet de gérer la transition de manière négociée et concertée. Il y a une «troïka» qui est en charge de la Tunisie de concert et des opposants qui assument la fonction de vigiles de la démocratie. Rien n'est définitivement joué et on est bien placé pour savoir qu'un processus démocratique peut être bloqué, entravé et qu'une régression ne relève jamais de la pure hypothèse.

En Tunisie, plus que les activités inquiétantes d'une minorité de salafistes, c'est la donne sociale qui est la source majeure d'inquiétude. Il y a la Tunisie profonde, celle qui a donné le premier coup de rein pour la réappropriation de la dignité, où le chômage atteint des proportions graves. C'est de là qu'est partie la révolution, c'est de là aussi que le désenchantement risque de commencer et de devenir pesant. C'est sur ce terrain qu'un gouvernement est attendu et non pas sur la longueur de sa barbe. Et il n'y a pas de solution magique.

PAR CONTRE, IL Y A DES REPONSES POSSIBLES QUI PEUVENT FAVORISER UNE CROISSANCE PLUS DYNAMIQUE. COMME PAR EXEMPLE UNE RELANCE SERIEUSE DE LA DYNAMIQUE MAGHREBINE. MAIS EN CE JOUR D'ANNIVERSAIRE HEUREUX POUR LES TUNISIENS, IL FAUT SOULIGNER QUE LES CHOSES SE PASSENT BEAUCOUP MIEUX QUE LES «PREVISIONNISTES» NE SE PLAISAIENT A L'ANNONCER. DE GRANDS DEFIS ATTENDENT ENCORE LES TUNISIENS, MAIS ILS ONT MONTRE EN UNE ANNEE QU'ILS AVAIENT DU RESSORT. ET QU'ILS PEUVENT CONTINUER, AVEC UN SENS REMARQUABLE DE LA MESURE ET AUSSI DE SERIEUX, A ETRE L'AIGUILLON DES CHANGEMENTS NECESSAIRES D'UN MONDE ARABE QUI PLOIE SOUS LES AUTORITARISMES.