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UNE TRANSITION, 20 ANS PLUS TARD !

par K. Selim

Vingt ans ! C'est, à deux mois près,le temps écoulé entre le «précédent» démocratique algérien et son échec cataclysmique et le nouveau précédent démocratique tunisien. En dépit de l'affaire Persépolis et Nessma TV qui a fait monter un peu les tensions - certains esprits soupçonneux affirment que c'était bien son objectif -, le climat, selon les témoignages d'amis en Tunisie, n'a pas grand-chose à voir avec l'Algérie de décembre 1991. Ni discours politiques haineux, ni peur indéfinie et encore moins de Freddy de Carthage, comme celui du Télemly, pour créer la psychose générale.

 Bien sûr, il y a les salafistes, politiquement crétins, qui peuvent être facilement enflammés, mais ils ne pèsent pas encore. Tant mieux pour les Tunisiens. Ils ont un sens de la mesure, de l'équilibre et du pragmatisme qui a fait défaut aux Algériens, ce qui les a conduits à l'échec. Bien entendu, les Tunisiens qui se rendent aujourd'hui aux urnes ont des craintes et des appréhensions légitimes. Les polarisations idéologiques en font partie. Mais elles ne sont pas l'unique et le seul problème. En entrant dans un processus électoral pour désigner une assemblée constituante, les Tunisiens quittent le territoire de la révolution pour entrer dans celui de l'institution et de la légalité. C'est un processus inévitable. Il va permettre aux forces politiques émergentes de se compter et de négocier le cadre de la vie politique du pays.

 Les inquiétudes qui se sont exprimées au sujet de la possibilité d'un hégémonisme du parti Ennahdha ou de la remise en cause des progrès sociétaux acquis au cours du siècle dernier ne sont pas illégitimes. Et le fait que des femmes et des hommes affichent clairement qu'ils les défendront est un signe indéniable de vitalité. Il est toujours utile que le débat se mène de manière énergique. Sans peur. Mais aussi sans mauvaise foi.

 Sur l'échec algérien, les Tunisiens ne doivent pas se contenter de tirer la conclusion qu'il faut éviter un mode de scrutin fatal et aller vers une proportionnelle, sans doute difficile, mais qui contraint les forces politiques à négocier et à s'entendre. Il faut aussi se convaincre que tout le monde a intérêt à la réussite du processus et qu'un échec de la transition démocratique est un échec pour tous.

 L'un des plus grands enjeux de la transition démocratique en Tunisie est de convaincre les exclus, ceux-là qui ont lancé l'étincelle de la contestation, qu'ils ne seront pas les oubliés de ce passage de la révolution à l'institution. Chez les Tunisiens de cet arrière-pays abandonné par le régime de Ben Ali, le sentiment est déjà là que la révolution, leur révolution, leur échappe et qu'elle a été prise en main par une bourgeoisie tunisoise insensible à leur sort.

 En Algérie, la crise sociale a très largement pesé sur le cours des évènements, qui ont conduit à un échec dont on n'arrive toujours pas à sortir. Rien n'est facile. Mais dans le nouveau contrat social tunisien qui s'ébauche, le plus déterminant sera la capacité des dirigeants à créer de l'économie et du développement dans les régions laissées en marge. Et qui le sont encore.