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CONTORSIONS TARDIVES

par M. Saadoune

Après avoir donné l'onction arabe à l'intervention militaire occidentale en Libye, Amr Moussa a eu quelques scrupules. Il a dénoncé une intervention qui dépasse le mandat fixé par la résolution 1973. A croire qu'il ne l'avait pas lue. Et puis, tout aussi soudainement, après avoir discuté avec Ban Ki-moon et sans doute reçu quelques coups de téléphone, Moussa est revenu à de meilleurs sentiments.

 Le secrétaire général de la Ligue arabe, et candidat possible à la présidence égyptienne, se livre à des contorsions qui prêteraient à rire si le sujet n'était aussi grave et sanglant. On pourra dire que son secrétaire général incarne à la perfection une Ligue arabe d'une superbe vacuité. Sa démission complète dans l'affaire libyenne s'est achevée en apothéose, si l'on ose dire, sur le rôle indigne de fournisseur d'alibi pour une intervention occidentale. Cette Ligue se réunissait hier, mais nul n'attendait ce qu'il pouvait sortir d'un conclave désormais sans objet, l'approbation arabe à l'engagement militaire de la Civilisation ayant été obtenue. Cette Ligue, conçue dans les couloirs de l'Intelligence Service britannique, n'est rien d'autre qu'un syndicat de régimes non démocratiques, totalement coupés des populations. Pratiquement, tous les Etats membres de cette organisation sont en délicatesse avec leurs populations.

 Et si la Ligue a pris la décision de suspendre la Libye de Kadhafi, ce n'est pas par souci du sort des Libyens, mais bien par l'animosité des uns contre Kadhafi ou par l'allégeance des autres aux orientations des Occidentaux.

 Sur le fond, les Etats arabes ont été totalement démissionnaires et n'ont pas assumé le minimum des obligations théoriques de leur qualité de membres de la Ligue. Ils ne le font nulle part, ni au Yémen, ni au Bahreïn, ni en Libye. Dans ce dernier cas, la Ligue arabe s'en est honteusement remise au Conseil de sécurité, quitte à découvrir par la suite, pour certains décidément aveugles, que les Occidentaux peuvent en faire un usage indésirable.

 Les opinions publiques, totalement hostiles à Kadhafi, sont aujourd'hui très divisées sur l'évolution de la situation en Libye. Les centaines de missiles de croisière lancées sur la Libye et le déchaînement de violence meurtrière civilisée changent fondamentalement la donne.

 Les Etats arabes ont ainsi participé activement à la création d'un extraordinaire précédent pour les interventions militaires étrangères. Ce qui arrive en Libye peut désormais advenir ailleurs, la seule limite étant l'appréciation des Occidentaux eux-mêmes. Ils décideront, seuls, quels régimes arabes ont la latitude de réprimer en toute quiétude et ceux qui seront punis pour les traitements qu'ils infligent à leurs populations.

 Politiquement, la Ligue arabe a signé son arrêt de mort. Cette organisation ne devrait pas survivre à Kadhafi. Sauf - et c'est une hypothèse très improbable ou au moins lointaine - si elle changeait de nature et devenait une Ligue de responsables démocratiquement élus par leurs peuples. Une telle Ligue aurait, sans atermoiements, décidé de mobiliser des troupes pour s'interposer en Libye, sans attendre l'intervention occidentale dont les conséquences sont incalculables. Bien entendu, il ne faut pas rêver, tant la possibilité effective d'agir n'est offerte qu'à ceux qui peuvent se reposer sur leurs peuples.

 Mais ce que l'on peut constater est que les trois pays voisins de la Libye - l'Algérie, l'Egypte et la Tunisie - ont été trop passifs face à une crise qui les concerne directement. Il était évident que l'inaction des Etats menait tout droit à l'intervention étrangère. C'est ce qui fait que l'Algérie, par principe hostile à ces interventions, n'a pu que «prendre acte». Le reste lui échappe. Même si elle se lamente sur la disproportion des bombardements aériens.