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65E FESTIVAL DE CANNES : UN AUTRE CINEMA MAGHREBIN EST POSSIBLE

par De Notre Envoyé Spécial A Cannes : Tewfik Hakem

Avec «Le Repenti», son dernier film applaudi à Cannes, Merzak Allouache ouvre aux jeunes la voie d’un cinéma indépendant et percutant.
Un tonnerre d’applaudissements a fait vibrer pendant quelques minutes le théâtre Croisette, à l’issue de la projection du film de Merzak Allouache, «Le Repenti», dévoilé en avant-première dans la sélection «La Quinzaine des Réalisateurs».
La fin glaçante et tragique du film n’a pas empêché le public de témoigner son adhésion totale d’une manière chaleureuse. N’empêche, une question nous taraude : qui sont ces vieux Français qui applaudissent à tout rompre ? Des militants communistes, amis de longue date de l’Algérie et fiers de voir enfin à Cannes un film algérien tout à la fois audacieux et abouti ? Ou des rapatriés, tendance OAS, réconfortés de voir sur grand écran que le pays qu’ils ont dû quitter, il y a 50 ans, ne cesse de sombrer dans la violence ? Peut-être ni l’un ni l’autre mais juste des cinéphiles émus par le propos du film et sa réalisation efficace… Ce sentiment de «qui applaudit qui» est nourri par la fait que nous sommes à Cannes, ville de vieux retraités où le FN réalise des scores importants, surtout chez les rapatriés d’Algérie.
Pour autant ce doute ne devrait pas nous faire oublier l’essentiel : le dernier film de Merzak Allouache est une leçon de cinéma avant toute chose. Que le propos du film soit éminemment politique et même sujet à polémique est d’une évidence qui ne peut échapper à personne… Même pas au dernier des fonctionnaires du ministère officiel des stands vides et des représentations folkloriques, lequel a eu totalement raison de ne pas miser un dinar dans le seul film algérien qui a finalement retenu l’attention du Festival de Cannes, en cette année symbolique du 50e anniversaire de l’indépendance. Mais une fois de plus, «Le Repenti» est d’abord une réussite cinématographique, dans le sens universel du terme. Et puisque ce film nous fait l’honneur de hisser le cinéma algérien à un niveau international, il est légitime de rendre la politesse à son auteur Merzak Allouache, en décrétant ni plus ni moins que c’est notre Francis Ford Coppola.
La comparaison paraît exagérée ? Normal. Quelque part elle l’est. N’empêche, c’est bien dans la même salle et dans le cadre de la même sélection que Coppola est venu présenter, en 2009, son film «Tetro», petit chef- d’oeuvre à caractère autobiographique, financé avec ses propres deniers. Plutôt que de batailler et de dealer avec le système des gros studios, Coppola s’est donné les moyens d’être libre avec peu de moyens puisque les nouvelles technologies le permettent enfin. C’est exactement ce que fait, cette année, Merzak Allouache. Plutôt que de se battre contre le système étatique, il a préféré mettre l’argent gagné par ses précédents films (en particulier les prix glanés dans les festivals arabes) dans ce projet cofinancé par une modeste boîte de production française.
De même il faut remercier le ministère de la Culture d’avoir refusé de financer ce projet, ce n’est pas du tout du second degré, car il se trouve que Merzak Allouache n’a jamais été aussi bon depuis qu’il est redevenu la bête noire du système. Comme pour les films de Tarik Téguia que Allouache a sans doute vus et bien vus, on peut faire du vrai cinéma avec une petite caméra numérique et un bon scénario, avec un minimum de moyens et beaucoup d’inspiration.
A cet effet, on peut dire que «Le Repenti» est un grand film sur le dénuement dans les sens spirituel et matériel, ne serait-ce que parce que le réalisateur citadin, né à Bab El Oued, a su restituer dans ce film, toute la détresse et la misère de l’Algérie rurale. Le dénuement paysager pour commencer et dès le générique, les hauts plateaux en hiver, des pentes enneigées que dévale à toute vitesse, un jeune homme fatigué. Et quand il arrive au commissariat pour officialiser sa reddition de djihadiste et bénéficier de la loi du pardon et de la concorde civile, on apprend que le jeune homme s’appelle Rachid mais on remarque surtout à quel point les bureaux de la police sont dénués de toute fonctionnalité. Ce dénuement qu’on va retrouver durant tout le film, presque dans tous les plans: dans la chambrette que Rachid va occuper, située au sous-sol du café où il est engagé ; dans la pharmacie du village qui attend depuis des lustres une livraison de médicaments ; dans l’appartement quasi-vide du pharmacien qui vit seul et séparé de son épouse depuis que leur gamine a été enlevée et tuée par des terroristes.
C’est un film à rebondissements qui tient le spectateur en haleine sans le prendre en otage ; mais résumer l’histoire ici serait une faute de goût. Disons que comme dans une tragédie grecque, les personnages vont devoir s’affronter et affronter un passé qui ne passe pas.. Merzak Allouache s’est inspiré d’une histoire vraie pour illustrer sa conviction qu’une loi ne peut pas effacer les crimes commis, jamais pourtant il ne sombre dans la facilité de décerner les bons et les mauvais points. Terroristes repentis, familles des victimes de l’horreur, militants humanistes, flics et voyous, chacun des protagonistes peut être coupable du pire et en même temps capable du meilleur. Mais en définitive personne n’échappera au destin tragique.
Dans le rôle du repenti, il faut saluer la performance de Nabil Asli, excellent jusqu’au trouble. Adila Bendimerad, dans le rôle de Djamila, confirme ici tout le bien qu’on pensait déjà d’elle et Khaled Benaissa, dans le rôle de Lakhdar son mari, étonne par son jeu d’une extrême justesse.
Comparé au «Le Repenti», le film du Marocain Nabil Ayouche, «Les Chevaux de Dieu», est une superproduction, avec ses images aériennes des bidonvilles de Casablanca et son hélicoptère, un chouia ostentatoire. Tourné dans le bidonville d’où venaient les kamikazes des terribles attentats de mai 2003, le film, adapté du roman de Mahi Binebine, «Les étoiles de Sidi Moumen» raconte les itinéraires des jeunes terroristes. Présenté dans le cadre d’un Certain Regard qui n’a jamais autant mérité son nom, «Les Chevaux de Dieu» est sans conteste, le meilleur film de l’auteur de «Ali Zaoua», une mise en scène impressionnante qui mérite qu’on y revienne très vite, le temps de se remettre de toutes ces émotions cannoises. Car outre le plaisir de voir des films de qualité, d’assister à des fêtes somptueuses et de faire des rencontres improbables, le festival de Cannes a ceci de particulier et de salutaire : il bouscule nos certitudes bien établies et nos grilles de lectures dogmatiques. Merzak Allouache fait partie de l’ancienne génération? Et alors, cela ne l’empêche pas d’être à l’avant-garde du renouveau du cinéma algérien. Nabil Ayouche est le fils d’une des plus riches familles de la bourgeoisie marocaine. C’est pourtant à travers ses films que les prolos, les misérables et les exclus du royaume marocain parviennent enfin, à devenir visibles et humains.