![]() ![]() ![]() ![]() Il y
a des guerres silencieuses, des conquêtes invisibles qui ne se font ni par les
armes ni par les discours. Elles rampent dans les interstices de la société,
gangrènent les jeunes, manipulent les faiblesses. En Algérie, c'est aujourd'hui
un autre genre d'invasion qui
s'amorce insidieuse, chimique, transfrontalière. Une vague brune, verte,
parfois colorée de rose chimique, qui monte par le Sud, déferle par le Nord, et
cherche à submerger tout un pays. La drogue. D'un côté, les narcotrafiquants du
Sahel, enfants maudits de la géopolitique désertique, qui font passer haschich,
cocaïne et héroïne en remontant les routes ancestrales du commerce
transsaharien. De l'autre, les barons de la drogue européenne, souvent bien
établis dans les ports du Sud de la France et du Nord de l'Espagne, qui voient
l'Algérie non pas comme une barrière, mais comme un marché.
Et cette fois, le coup est rude, spectaculaire même : 1.650. 000 comprimés d'ecstasy, saisis à Mostaganem, dans un camion venu tout droit du port de Marseille. Une prise qui fait date. Un record africain. Une cargaison d'une valeur estimée à plus de 400 milliards de centimes. Du jamais vu. Et sans doute, hélas, la partie émergée d'un iceberg narcotique bien plus vaste. Cette saisie n'a rien d'anecdotique. Elle marque une bascule. Une tentative massive, calculée, d'inondation. Car ces 1,65 million de pilules roses ou bleues n'avaient pas vocation à dormir en entrepôt : elles devaient circuler, se diffuser, atteindre les poches, puis les veines, les cerveaux, les destins. C'est toute une guerre psychologique qui se joue ici, et le choix de l'ecstasy n'est pas innocent. Cette drogue dite « récréative » cible une jeunesse en mal d'oxygène, en manque de rêve. L'arme est douce, colorée, festive mais elle tue à petit feu. L'opération, coordonnée dans plusieurs wilayas Blida, Tipaza, Alger, révèle une organisation d'une redoutable sophistication. Neuf arrestations, plusieurs véhicules saisis, des millions confisqués en dinars et en devises. Tout, dans cette affaire, respire la mécanique huilée du crime transnational. Car derrière ces cachets se cache tout un modèle économique parallèle. Une entreprise criminelle qui a ses ressources humaines, ses logisticiens, ses financiers, ses blanchisseurs, ses parrains et ses guetteurs. L'argent circule, change de formes, finance d'autres crimes. Il s'infiltre dans le tissu économique légal, corrompt, rachète, enrôle. Et ce sont les sociétés fragiles, les jeunesses désenchantées, les économies sous pression qui deviennent des proies faciles. L'Algérie, par sa position stratégique, est devenue cible. Carrefour méditerranéen, interface entre Europe et Afrique, elle concentre, aujourd'hui, toutes les convoitises. Or, la drogue n'est plus seulement un produit, c'est une arme. Une arme de déstabilisation. Une tentative d'empoisonnement de la société. Ce coup de filet historique démontre une chose essentielle : l'État algérien n'est pas passif. Il voit, il surveille, il frappe. Les services de sécurité, dans leur montée en compétence, montrent qu'ils savent anticiper, agir, coordonner. Ce n'est plus l'heure des réactions tardives, mais de la riposte stratégique. Cette affaire confirme aussi la dimension hybride de ces menaces : elles naviguent entre les eaux du trafic, du blanchiment, du faux et de la corruption. La réponse, elle, ne peut être que multidimensionnelle. Sécuritaire, bien sûr, mais aussi judiciaire, financière, éducative, diplomatique. La coopération avec d'autres pays et les institutions internationales devient une nécessité vitale. Mais au-delà des saisies spectaculaires, c'est une bataille de fond qui doit être menée. Car l'objectif ultime de ces réseaux n'est pas seulement de vendre, mais de briser. De faire d'une génération une clientèle. De faire d'un peuple une économie dépendante. C'est à cette jeunesse, justement, qu'il faut parler. L'éduquer, la soutenir, lui offrir des alternatives. La culture, le travail, l'espoir. Lui dire que ce monde n'a pas besoin de pilules pour vibrer. Lui rappeler que l'avenir se bâtit les mains propres, l'esprit libre. Lui tendre autre chose que le vertige des paradis artificiels. L'affaire de Mostaganem ne doit pas être un simple fait divers en bas de page. Elle doit réveiller, choquer, mobiliser. Car ce n'est pas seulement une cargaison qui a été arrêtée. C'est un signal. Une tentative de submersion de l'Algérie par des forces qui n'ont ni pitié ni scrupules. Il est encore temps de construire des digues. Mais il faut de la volonté, du courage, et surtout une société entière qui regarde lucidement le danger, et qui dit non. Non à l'oubli. Non à la dépendance. Non à la résignation. |
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