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La
doyenne algérienne des artistes peintres était présente à l'hommage qui lui a été
consacré en cette journée du 8 Mars, bien qu'amoindrie par la maladie. Dans
cette magnifique salle de l'association des Arts visuels et plastiques,
CIV'?IL*, rare lieu encore en activité dans la métropole de l'Ouest,
entièrement consacré à la peinture, les organisateurs ont réussi une belle
gageure : réunir une trentaine de toiles encore disponibles de l'artiste
peintre. Au-delà de la diversité de leurs styles, techniques et sujets, les
toiles accrochées aux murs, sur les deux niveaux de l'atelier, constituent le
miroir d'une époque, en témoignant, chacune à sa façon, d'une inspiration
authentique, mûrie à la substance du vécu et du rêve. «Les moments qui me
stimulent, ce sont les épreuves que je surmonte? Ce qui m'inspire, c'est ce qui
me touche dans le quotidien. Je gribouille des croquis, soit des personnages,
soit des têtes, durant une longue période de gestation, et puis tout d'un coup,
les idées se bousculent et l'expression éclate? », nous
confie Leïla Ferhat, avant de poursuivre : «Le reste est simplement formulation
d'imagination, c'est-à-dire la faculté de traduire les sensations en colorations».
Certaines de ses toiles ont vu le jour quasiment au forceps en nécessitant du
temps. D'autres, par contre, ont été réalisées d'un seul trait.
Aborder Leïla Ferhat, la faire parler de son quotidien n'est guère une sinécure. Mais lorsque le propos se rapporte à l'art pictural, alors très vite, l'artiste sort de sa coquille et ne rechigne pas à se livrer, à parler de ses émotions face à la toile, de la magie de la création, du foisonnement de couleurs et de mouvements. Dès son plus jeune âge, Leïla Ferhat s'est aménagé un univers bien à elle pour traduire ses émotions, ses rêves, ses sentiments cachés. Elle se rappelle encore son professeur de français, Melle Leroy qui, constatant ses aptitudes à la création, lui demanda de reproduire La Fontaine de Van Gogh. Ses dessins ont, dès l'école, retenu l'attention. Elle se sentait comme attirée par une force puissante et mystérieuse vers l'aventure picturale. D'année en année, cet amour de la peinture l'accompagne en s'amplifiant. Les livres d'art des grands maîtres, Van Gogh, Picasso, Magritte? aiguisent sa curiosité. Elle collectionne des images, des cartes postales de tableaux, des timbres et savoure le bonheur de dessiner et de peindre d'abord sur papier, puis sur toutes sortes de supports. Ses premières esquisses, paysages marqués par une pointe de mélancolie et de naïveté figurative dans le trait, scènes de genres aux formes lumineuses denses et variées, ont vite laissé la place à des œuvres d'imagination qui puisent dans le quotidien. Délaissant la facture réaliste pour une évocation presque abstraite des êtres et des choses, l'artiste inscrit ainsi un premier tournant dans son art. Refusant la facilité, Leïla Ferhat revient sans cesse sur l'ouvrage. Devenu sa passion principale, l'art pictural finira par l'emporter sur d'autres carrières et deviendra son sacerdoce. Elle quittera alors sa ville natale, Mascara, pour s'inscrire à l'Ecole nationale d'architecture et des beaux-arts d'Oran où elle obtiendra son diplôme en 1969. Elle rejoindra ensuite l'Ecole des beaux-arts d'Alger pour suivre les enseignements de ses maîtres, Issiakhem, Mesli? En 1975, après quelques années d'enseignement des arts plastiques, on lui propose la direction de l'école. Décidée à se consacrer entièrement et exclusivement à la création, elle décline l'offre. Les premières toiles, signées Leïla, vont très vite démarquer une personnalité audacieuse et téméraire. A la maîtrise d'exécution, à la justesse des tons vont très vite s'ajouter des trouvailles subtiles qui vont révéler une sensibilité d'artiste au sommet de son art. L'adhésion du public à ses travaux est immédiate, tant l'accessibilité à son langage est simple. Les encouragements vont l'inciter à aller de l'avant. Discrète et réservée, Leïla ne délivre aucun message à proprement parler, mais plutôt de l'empathie pour ses sujets. Il suffit de jeter un coup d'œil à son œuvre pour mieux comprendre les aptitudes de cette passionnée, d'une modestie extrême comme a tenu à le souligner Fatima Boufenik, présidente de l'association FARD. Chaque vernissage, telle une mélodie, se transforme en un moment de vérité émotionnelle exceptionnel. A travers chaque toile, toutes les facettes de son génie aux multiples influences sautent aux yeux. L'effet de sa peinture est saisissant. De la poésie en mouvement, de la délicatesse, une harmonie des formes tout en nuances, des œuvres semi-figuratives qui oscillent entre le vécu et les rêves avec des couleurs qui illuminent, une lumière qui inonde l'esprit. Sans tambour ni trompette, Leïla Ferhat a fini par tracer son chemin «dans la lignée des maîtres», précisera Mme Kouti de l'association Le Petit lecteur. Sa passion à la fois tenace et intime a fini par l'emporter sur le reste. L'énergie nécessaire à la création, elle la puise dans l'actualité nationale ou internationale. Le martyre que font subir les Israéliens au peuple palestinien, la destruction de l'Irak par les Américains ne l'ont pas laissée indifférente, tout comme le drame des familles sahraouies. Pas moins de quarante œuvres (toiles et aquarelles) mises en vente au Palais de la culture à Alger, au profit de l'Irak, témoignent de ces préoccupations. A travers des couleurs vives, elle a su exprimer les désastres et les massacres en laissant toutefois pointer l'espoir et la vie, ne montrant pas la guerre, mais plutôt le désir de paix. Point de déluge de feu, point de bombes, mais plutôt le feu de la vie à travers le regard paisible de l'enfant, du musicien et du citoyen tranquille. Un premier prix de peinture obtenu au vernissage organisé par le Comité des fêtes de la ville d'Alger, en 1977, fut suivi de nombreuses distinctions. Signalons au passage la Médaille d'or obtenue en France, à Puy-en-Velay en 1982, la Médaille d'Or décernée par la ville de Riom (France) en 1980. Ses travaux ont été exposés au Maghreb, en Europe, dans les pays du Golfe, en Amérique latine, au Canada? «Mon sujet préféré reste la femme, femme au travail, femme libre, femme auprès de l'homme?». Fileuse, liseuse, mélancolique ou nostalgique à l'encre ou au pastel, dans les Aurès ou au Sahara, partout la femme dans un rendu d'une esthétique exceptionnelle. Hier, comme aujourd'hui, ce thème, au centre de ses préoccupations, occupe une place essentielle. Chaque toile nourrie aux influences les plus diverses trace le lien entre le figuratif et l'abstrait. Leïla Ferhat, grâce à la technique de l'aquarelle, a su traduire, dans une parfaite harmonie, des formes et des couleurs, le poids des siècles d'écrasement, de contraintes, de détresse, avec toujours une expression qui souligne la dignité. Mariant une recherche formelle (danseuses en mouvement quasi insaisissables inscrites dans des bleus turquoise) d'essence abstraite, à une interrogation sociétale (portrait de la maternité?), l'artiste témoigne d'un regard incisif et tendre qui respire la vie. Les cavaliers, l'Emir Abdelkader en grande nature, tout comme le Sud avec ses palmeraies, sont omniprésents dans son œuvre devenue majeure en traduisant encore mieux sa préférence pour Van Gogh, le peintre de la lumière, lumière qui inonde les esprits et qui donne aux couleurs leurs chatoiements. « Miroir d'une époque, l'œuvre de Leïla Ferhat, comme celle de Baya, Martinez, Belbahar, Yellesou, Ali Khodja, nous interpelle », nous précisera son ancienne élève Mme Kouskoussa. A travers ses travaux, Leïla manifeste un don inné, un talent exceptionnel, une expression vivante, pour formuler l'imagination. L'admiratrice de Issiakhem peint pour s'apaiser, pour se détendre, mais aussi et surtout pour militer à sa manière du côté des exclus et des humbles qui luttent pour leur reconnaissance et leur émancipation. Cela dit, elle ne se prive pas de dénoncer l'état de déliquescence avancé de toute l'expression artistique dans notre pays. A son âge, l'artiste dont on reconnaît au premier coup d'œil le style et le talent n'a pas fini de nous étonner. Chacune de ses créations questionne l'art, éclabousse l'esprit et envahit le corps. Sa peinture demeurera une recherche permanente de formes, de signes, de tracés et de mémoire. Loin d'être figé, le style a toujours été en constante amélioration. Ses dernières œuvres témoignent à l'évidence de sa volonté perpétuelle de mieux faire et d'avancer sans cesse, malgré la haute facture des toiles déjà présentées. - Galerie CIVOEIL, 3 rue Latrech Mohamed, Miramar, Oran, du 08 au 30 mars |
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