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Le revirement
précipité du ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
scientifique relatif à ses affirmations centrées sur le peu d'intérêt porté par
l'université algérienne au prix Nobel ne changera pas l'image peu reluisante de
l'université algérienne.
Ses propos du 07 août 2018 nous rappellent ceux d'un autre responsable qui avait dit, toute honte bue, en 1996, «qu'il était prêt à fermer l'université algérienne», au moment des grèves des enseignants. Les propos des deux responsables montrent le peu d'enthousiasme des décideurs algériens et notamment des responsables du secteur de l'enseignement supérieur, pour tenter de donner une âme scientifique à l'Université algérienne. Il est alors plus aisé de persister dans une rhétorique du «tout va bien», toujours appuyée par des données quantitatives «flamboyantes», faisant valoir de façon arrogante la massification en termes du nombre d'étudiants, d'établissements universitaires, d'enseignants, de revues scientifiques, etc., apparaissant comme le seul résultat majeur mis en avant par les responsables de l'université algérienne. Image peu reluisante des savoirs en Algérie Sauf à refuser de regarder la réalité en face, la fiction des savoirs est prégnante dans l'université algérienne. La fiction est une construction sociale qui permet d'affirmer, sans un examen critique, autocritique et détaillé de la réalité des savoirs dans notre pays, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce mode d'appréhension des savoirs est «aveugle» et de surcroît, piteux. Il est dominé par le primat donné à la logique politico-administrative en matière de gestion et de communication. Celle-ci ne se limite pas à l'application des textes juridiques. Elle représente un véritable mode d'action, avec ses propres codes, ses propres espaces de pouvoir, s'imposant comme un moyen de fonctionnement hégémonique au sein de l'université, en éjectant à la marge la dimension scientifique et pédagogique. On ne parlera jamais à l'université de la hiérarchie scientifique, de sa valorisation, des libertés académiques, du mérite et de l'autonomie dans la gestion et le fonctionnement. Il semble que cela n'a pas de sens ! Il faut au contraire se faire tout «petit» pour ne pas froisser les susceptibilités des acteurs importants de l'université qui ont d'autres préoccupations plus importantes que celles de redonner de façon forte et déterminée la priorité aux savoirs, et rien qu'aux savoirs dans une société encore profondément sous-analysée, c'est-à-dire insuffisamment appréhendée dans toutes ses facettes. C'est pourquoi les propos de M. Hadjar sur «l'inutilité» de tout prix Nobel pour l'université algérienne, en mettant sur le même plan les élèves qui ont 19 et 10 de moyenne au baccalauréat, intègrent parfaitement les façons de faire de l'université algérienne : distribution tous azimuts des diplômes, plagiat, laxisme temporel pour la soutenance des doctorats, la primauté de l'administratif sur la science et la pédagogie, les violences multiples, le refus de toute reconnaissance sociale du travail assuré, pour privilégier de façon dominante la médiocrité «normalisée» et «institutionnalisée» qui se substitue au travail continu, à la rigueur et à l'émulation scientifique, seuls gages de réussite dans le champ des savoirs. «Restez tous les mêmes» Monsieur Hadjar a contribué à noircir davantage le statut des savoirs en Algérie, réfutant toute hiérarchie scientifique entre les jeunes bacheliers qui vont découvrir pour la première fois l'université. Le slogan au cœur de ses propos peut aussi être lu comme un appel implicite ou inconscient à toute absence d'efforts : «restez tous les mêmes». Alors qu'il faut constamment se remettre en question, s'inspirer en permanence, en son for intérieur, de cette phrase lumineuse du philosophe grec Socrate : «je sais que je ne sais rien», pour se surpasser, M. Hadjar nous renvoie de façon expéditive à un égalitarisme affligeant et primaire, qui laisse perplexe sur le devenir des savoirs en Algérie. Pourtant, le développement des connaissances scientifiques est indissociable de la concurrence, de la critique constructive et des remises en question perpétuelles entre les chercheurs. Avouons humblement que nous en sommes loin ! Déconsidérer de façon aussi maladroite le prix Nobel ne peut étonner les observateurs avertis du fonctionnement de l'université algérienne, envahie par des certitudes et des prétentions, tout en étant, aujourd'hui, orpheline d'une production scientifique crédible, critique, libre, discutée et débattue collectivement. Peut-on encore se complaire dans la reproduction d'une université sans autre ambition que celle de gérer le flux des étudiants en continuant à se mouvoir de façon béate et silencieuse dans le statu quo ? Les propos du ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique nous semblent d'un défaitisme ravageur, renforçant le nivellement par le bas. Les prétendants au moindre effort, à la paix sociale, seront indéniablement confortés par ces déclarations publiques qui vont nécessairement marquer le fonctionnement au quotidien de l'université. Evoquer de façon aussi lapidaire et simpliste le prix Nobel, considéré dans toute sa banalité, c'est faire peu cas du travail immense et des multiples sacrifices pour celles et ceux qui ont eu à concourir pour cette distinction scientifique prestigieuse. Peut-on effacer d'un trait de plume l'histoire prestigieuse des différents prix Nobel ? Le silence et le respect auraient été, nous semble-t-il, de rigueur face à ces «monstres» scientifiques qui ont réussi le pari de révolutionner avec un courage intellectuel et une ténacité inouïs, les différents paradigmes scientifiques existants. On aurait applaudi M. Hadjar s'il avait, avec humilité, tiré sa révérence aux chercheurs scientifiques de haut niveau qui ont voué toute leur vie à la Science, pour accéder à un tel niveau scientifique qui est celui du prix Nobel. Mohamed Arkoun, grand penseur algérien de l'Islam, mort dans l'indifférence et le silence le plus total en Algérie, avait évoqué à juste raison, «la sainte ignorance» ou «l'ignorance institutionnalisée» qui s'interdit toute possibilité de comprendre dans sa complexité un fait social donné. Or, l'absence de toute référence historique aux grandes découvertes scientifiques dans le monde n'a sans doute pas permis au ministre de peser ses mots à propos du prix Nobel, pour comprendre les souffrances, les privations, les exclusions des Hommes qui se sont rebellés contre l'ordre social pour imposer de façon courageuse et autonome les résultats de leurs recherches scientifiques respectives. À propos des classements des universités Si les classements des universités et des centres de recherches ont té l'objet de nombreuses critiques, il aurait été important que les décideurs les prennent en considération pour définir les stratégies nécessaires et pouvoir ainsi adopter les critères adéquats. Concernant le lien que fait le ministre entre le prix Nobel et le classement des universités, il importe de rappeler que le nombre de prix Nobel et de médailles Fields parmi les anciens élèves ne représente que 10% en matière des critères de classement Shanghai. Par contre, le nombre de prix Nobel parmi les chercheurs en exercice dans les universités est considéré comme un critère de qualité de l'institution avec une pondération de 20%. Les autres critères concernent le nombre des chercheurs, les publications (articles publiés dans Nature et Science, articles indexés et les plus cités dans leurs disciplines) et la performance académique au regard de la taille de l'institution. En outre, le ministre accorde une importance démesurée à la visibilité des travaux sur les sites web qu'il considère comme le principal critère dans le classement. Il affirme, à la conférence nationale des universités, «que l'ensemble des critères de classement ne tiennent pas compte de l'enseignement, mais de la conception et des contenus des sites électroniques des universités» et que «les instances internationales se basent dans leur classement sur le contenu des sites électroniques des universités et non sur la qualité de l'enseignement» (publié dans le site du ministère : www.mesrs.dz) S'il est vrai, en partie, que la visibilité des travaux sur le web est relativement importante, notamment dans le classement de Times Higher Education, cela ne suffit pas, évidemment, d'avoir un site bien fait avec une masse d'informations et de publications, contenant tout et n'importe quoi, pour être bien classé ! Car il s'agit de prime abord de rendre visible les connaissances scientifiques et techniques. En effet, 80% des critères adoptés par les autres classements des universités comme ceux de Shanghai, HEEACT, Global UniversityRanking, pour ne citer que ces quatre institutions, tiennent comptent de la qualité de l'enseignement. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, tout en critiquant le classement mondial des universités, le ministre n'hésite pas à se féliciter quand une université algérienne gagne une place ou deux dans ce même classement. Ce qui lui permet de déclarer que «l'Université algérienne va bien» ! (El Moudjahid, le 05 juillet 2018). De tels propos discréditent l'université algérienne. Ils banalisent la compétition et la production scientifique. Ils mettent mal à l'aise la communauté scientifique, qui devrait s'inscrire dans les critères académiques mondiaux fondés sur la qualité et l'excellence. Ils créent un sentiment d'angoisse auprès des nouveaux bacheliers. Enfin, de telles considérations renforcent le statut quo extrêmement prégnant dans les universités algériennes. Les propos du ministre de l'Enseignement supérieur auraient été plus pertinents, en se focalisant sur le nécessaire encouragement des acteurs sociaux de l'université, dans le but d'accéder à un haut niveau scientifique, d'affirmer de façon forte la priorité politique de la recherche scientifique comme une activité incontournable et centrale pour une nation qui a pour prétention de rompre avec la rente pétrolière. C'est la lumière des sciences et non la violence de l'argent qui permettra de donner plus de crédibilité et de dignité politique, culturelle et économique à la nation algérienne dans le monde. Or, la stagnation et la consommation mécanique et administrée des savoirs dans nos universités bloquent tout nouveau souffle novateur, pouvant donner un sens plus dynamique et autonome de la recherche scientifique dans notre société. In fine, en écoutant les propos du ministre à propos du prix Nobel et sa conception de l'université, nous comprenons pourquoi cette dernière opère une régression fulgurante et dangereuse, banalisée à l'extrême dans un contexte sociopolitique dominé profondément par la paix sociale, au sens où rien ne doit changer. *Enseignant-chercheur, Université Oran 2, GRAS. ** Chercheur au CRASC, Oran. Références : Arkoun, M. (2010), La question éthique et juridique dans la pensée islamique, Paris, Vrin, 2010. Salmi, J. & Saroyan, A. (2007), Les palmarès d'universités comme moyens d'action : usages et abus. Politiques et gestion de l'enseignement supérieur, 19, (2), 33-74. Stuart, D. (1995), « ReputationalRankings : Background and Development », New Directions for Institutional Research, no 88. Eloire, F. (2010), «Le classement de Shanghai. Histoire, analyse et critique», L'Homme & la société, vol. 178, no. 4, 2010, pp. 17-38. |
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