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NEW
YORK - Les stratégies de positionnement dans la course mondiale aux énergies
propres vont bon train actuellement. Les Etats-Unis ont rejoint le peloton il y
a seulement deux mois avec le passage de la Loi sur la réduction de l'inflation
de 2022. Depuis lors, l'Autriche, par exemple, a annoncé 5,7 milliards d'euros
de paquet de subventions, un chiffre qui mobilise à lui seul des
investissements par habitant proportionnés à l'effort des Etats-Unis. Mais
alors que d'autres gouvernements adoptent des politiques industrielles en vue
de transformer leurs économies, opter pour certaines technologies vertes plutôt
que d'autres va devenir le principal défi à relever. L'annonce du palmarès est
loin d'être une tâche aisée.
Les décisionnaires peuvent commencer par une tâche relativement simple : celle de désigner les perdants. Les émissions de dioxyde de carbone, de méthane et d'autres gaz à effet de serre doivent être réduites à zéro ou à un niveau proche de zéro pour stabiliser le climat à l'échelle mondiale. C'est pour cette raison que les économistes ont longtemps préféré la tarification carbone comme outil électif de politique climatique. En faisant payer aux pollueurs la totalité des coût de leurs émissions, estime-t-on généralement, les pouvoirs publics peuvent laisser le soin au marché de décider quelles technologies sortiront gagnantes de cette concurrence. Mais voilà qui est plus facile à dire qu'à faire. Les distorsions du marché omniprésentes, les importants intérêts directs (aussi bien du côté du monde des affaires que de celui de la main-d'oeuvre) et les fortes dépendances commerciales en termes d'infrastructure rendent la solution sensée de l'économiste presque impossible à mettre en oeuvre. Considérez par exemple que plus de 90 % de la capacité mondiale de production d'électricité au charbon est protégée de la concurrence sur le marché par des contrats qui se prolongent souvent de 20 ans ou plus dans le futur. Un tel soutien indélogeable en faveur des technologies sales et périmées comme le charbon, même lorsqu'il existe des solutions de rechange disponibles et bien meilleur marché, plus propres et plus efficaces, prouve qu'il reste beaucoup à faire en ce domaine. En outre, l'urgence et la taille fine du défi viennent encore compliquer les choses. L'énergie joue un rôle de premier plan dans nos vies et la réalisation de la neutralité carbone va exiger une transformation de fond en comble de l'économie et de la société. Etant donné les circonstances, accroître la puissance des deniers publics est du meilleur ton, surtout si l'on considère notre important retard dans la transition vers une énergie propre. Mais les décisionnaires disposant de fonds publics limités doivent pourtant prendre des décisions difficiles quand il s'agit de choisir les bonnes technologies. Margrethe Vestager, Commissaire européenne à la Concurrence, a déjà exprimé ses inquiétudes au sujet d'une course aux subventions. Des politiques protectionnistes en matière d'énergie pourraient en fin de compte gêner la transition verte mondiale, mais « nous sommes très loin du point de saturation mondial en termes d'investissements nécessaires, » a déclaré Brian Deese, directeur du conseil économique national, dans ses remarques de grande envergure sur la stratégie industrielle des Etats-Unis. Une course précoce qui mérite toute notre attention est celle qui se joue entre des combustibles liquides plus verts et des options tout-électriques. Chaque solution a ses avantages, mais des questions difficiles se posent au sujet de ce qui constitue un avantage - et au bénéfice de qui. Il pourrait être plus facile de procéder à un simple échange en utilisant l'infrastructure existante des pipelines, des chaudières et des moteurs à combustion interne. Mais la physique favorise l'électrification dans la grande majorité de cas, en particulier dans le bâtiment et les transports, qui constituent ensemble près de 40 % des émissions totales. Opter pour le tout-électrique avec des pompes à chaleur et des véhicules électriques (VE) est clairement la meilleure solution à long terme. Il est près de cinq fois plus efficace de chauffer et de climatiser un domicile directement à l'énergie électrique, plutôt que d'utiliser de l'électricité pour produire un carburant liquide. En outre, les VE peuvent rouler cinq fois plus longtemps que les véhicules qui consomment des carburants liquides verts - souvent appelés « e-carburants » ou « électrocarburants » - en utilisant la même énergie. Pouratnt les e-carburants pourraient rester une option prometteuse pour l'industrie, en ce qu'ils ne représentent qu'un quart des émissions totales. Les processus de fabrication actuels exigent souvent la combustion pour créer des températures élevées. L'hydrogène brûle à 2 000° Celsius, ce qui le rend potentiellement bien adapté à la production de ciment, de verre, ou d'acier. Ceux qui mettent au point les principales technologies de l'acier à faible intensité de carbone considèrent l'hydrogène comme le carburant de choix pour remplacer le charbon. Mais il peut également y avoir d'autres solutions à l'horizon, à cause de la concurrence parmi les entrepreneurs en vue de réinventer des processus industriels établis de longue date. La jeune pousse Chement a trouvé une manière de produire du ciment à température ambiante et Electra se sert d'un processus qui produit de l'acier à 60°C. Il est vrai qu'il reste à voir si l'une ou l'autre de ces deux entreprises va révolutionner son secteur d'activité. Et leurs succès précoces ne signifient pas nécessairement que les combustibles liquides verts ne vont pas ou ne doivent pas faire partie de la solution. Mais le potentiel pour une restructuration dans ces secteurs montre pour quelles raisons les gouvernements doivent se montrer circonspects à l'heure de choisir de soutenir un candidat énergétique sortant, plutôt que des compagnies industrielles qui exercent un puissant lobbying pour des subventions destinées à faire préférer la technologie qu'ils promeuvent. Les choses se compliquent lorsqu'une jeune pousse prétend qu'elle peut décarboniser le système énergétique en troquant simplement des combustibles liquides verts contre des carburants sales. La promesse d'un simple tour de passe-passe technologique sans heurts semble trop tentante pour être honnête. Comme l'a déclaré récemment le fondateur du producteur de « gaz vert » Tree Energy Solutions : « Nous pouvons utiliser les mêmes navires, les mêmes canalisations, les mêmes usines. » Ce genre d'échange standard pourrait avoir des avantages significatifs précoces, en particulier pour les industries qui auront toujours besoin de brûler des combustibles liquides. Mais il y a également un danger de risque moral vert, selon lequel la seule promesse d'un simple tour de passe-passe technologique risque d'affaiblir l'incitation à poursuivre une transformation plus complète et finalement de meilleure qualité. C'est une chose de compter sur les e-carburants chers pour des processus industriels rares et difficiles à éliminer (ou pour le plaisir d'exhiber une antique voiture du siècle dernier). Mais c'en est une autre de les utiliser pour chauffer sa maison et pour alimenter en énergie les transports en commun quotidiens lorsque des solutions de rechange technologiquement et économiquement préférables sont disponibles. Comme bien souvent, les Allemands ont trouvé le parfait néologisme pour qualifier le défi actuel : Technologieoffenheit, qui suggère à la fois une ouverture aux nouvelles technologies et une circonspection à l'égard de la tentation à s'enfermer prématurément dans des solutions de moindre qualité. Mais l'ouverture ne doit pas simplement signifier qu'il faut efforcer de faire disparaître les réalités physiques fondamentales. Dans la crise énergétique de cette année, les intérêts directs liés aux technologies qui pourraient perdre dans le jeu de la concurrence avancent l'argument de l'ouverture, tout en rejetant d'un revers de main le besoin d'une réflexion plus long terme. La dernière chose que nous devons faire en matière de décisions de nouvelles politiques, de normalisation et d'investissement, c'est de nous enfermer dans une autre technologie fortement inefficace pour le long terme. Les meilleurs entrepreneurs ont le talent de se concentrer sur la tâche principale actuelle, plutôt que de se laisser distraire par la dernière lubie à la mode. Les décisionnaires devront faire la même chose à l'heure de choisir les technologies à promouvoir - et celles qu'il leur faudra rejeter. *Economiste du climat à Columbia Business School |